Lorsque je rencontre cet amoureux de la vie et de la cuisine africaine, je ne sais pas encore à quelle sauce je vais être « mangée ». Bonne nouvelle, Kossi Modeste, l’entrepreneur franco-togolais fondateur d’ « Afro Cooking » est ouvert et aime les gens. C’est pour les ravir qu’il lance son magazine dédié à la cuisine afrocaraïbéenne, en 2013. Aujourd’hui, le support possède 15000 points de vente dans le monde, dont 7000 en France hexagonale et dans les Antilles françaises. Autour d’un bon repas, le jeune homme, qui a grandi à Orléans, a accepté de répondre à mes questions, afin de mieux se laisser découvrir. Au cours de l’interview, vous aurez l’occasion d’en savoir plus sur l’homme qu’il est, son enfance, ses défis professionnels, ses échecs aussi. Et notamment sur son 1er festival « We Eat Africa », qui aura lieu le 07 juillet 2018, à Paris. Entretien.
Tu as quitté le Togo à l’âge de cinq ans, raconte-nous un de tes souvenirs de Lomé avant de partir pour la France ?
Je suis né et j’ai grandi à Tokoin. Mon papa et ma maman vivaient là-bas et nous y avions un magasin en face de l’hôpital. Je regardais la route par la voiture et je me rappelle qu’à 4 ans, j’ai quitté la maison pour me rendre seul, à pied, à Fréau Jardin pour aller voir ma tante, que j’aimais beaucoup. , Arrivé sur place, tout le monde était surpris car j’étais très jeune pour un tel trajet seul. Le goût de l’aventure m’a toujours animé, j’aime découvrir les choses.
A quel âge es-tu retourné au Togo ?
J’avais 17 ans. Mes parents estimaient que j’étais un petit voyou et ils avaient peur pour mon avenir car je sortais beaucoup, même si j’aimais l’école. A l’époque, nous vivions dans un quartier sensible d’Orléans. Ils m’ont donc envoyé « au bled » comme on disait, je devais y rester un an. Au début, c’était le choc, puis la vie simple de Lomé proche des réalités m’a plu. J’ai trouvé une formation à l’Item (Institut Technique d’Electronique et de Micro-informatique). Au final, j’ai décidé de rester trois ans. L’éducation que j’ai reçue m’a beaucoup aidé. Ma mère disait souvent : « si tu veux quelque chose tu ne le voleras pas, travail pour l’avoir ». Mon père aussi m’a beaucoup appris. Il m’a fait arrêter le football car il avait peur qu’il me détourne des études. J’étais furax. De plus, à chaque vacance, je devais lire un livre et lui en faire un résumé. C’est bien après que j’ai compris là où il voulait en venir et je l’en remercie aujourd’hui.
Qu’est-ce que cette vie au Togo t’a apporté dans ton parcours professionnel et/ou tes projets, par la suite ?
Lorsque je suis rentré, je ne voyais plus la vie de la même manière. Après deux années de spécialisations, j’ai rapidement créé ma boîte dans le domaine du transport logistique. Je menais la belle vie en tant que chef d’entreprise. Cela a duré trois ans. J’aimais faire de la route, cela me permettait de réfléchir. L’entreprise se portait bien, mais cela a tourné court lorsque j’ai eu dix employés. Il n’y a aucune école qui peut t’apprendre à gérer des hommes, c’est très difficile. Au niveau administratif, je ne gérais rien non plus. J’ai fait un « burn out » et ai été hospitalisé. Dans nos sociétés francophones, nous ne valorisons pas suffisamment l’échec or il est une forme de diplôme, quelque part, car il enseigne beaucoup de choses.
Qu’est ce qui s’est passé par la suite ?
A cette époque-là, j’étais très déconnectée de ma famille, qui entendait pas mal de choses circuler sur moi. Une fois à l’hôpital, je me rappelle que maman est arrivée et a viré tout le monde de ma chambre. J’avais 25 ans ; j’ai dû fermer l’entreprise, rendre mon appart spacieux et ma nouvelle voiture pour retourner vivre chez mes parents. Je n’étais plus en état de conduire, de toutes les façons. J’ai mis une semaine à remarcher, trois semaines à conduire de nouveau. Les amis en réalité là pour profiter de ma réussite, je n’en ai pas vus beaucoup à mon chevet, lorsque j’étais convalescent. Ma famille par contre a toujours était là pour moi.
Tu as lancé ta start-up « Afro Cooking » en 2013, puis le magazine du même nom, qu’est-ce qui t’a motivé à cela ?
J’ai appris la cuisine auprès de ma mère qui cuisinait souvent pour les mariages et autres. Un jour, j’ai voulu lui rendre hommage en écrivant un petit mot à son intention, dans un magazine culinaire afro, en Belgique, où je vivais à l’époque. J’ai été surpris lorsque le libraire m’a dit que cela n’existait pas ! Je me suis dit « je vais le faire dans ce cas ! ». Mon côté serial entrepreneur me vient d’elle. Elle m’a appris à ne pas avoir peur en me disant que rien n’était impossible à celui qui croit et qui agit. Autour de moi, les gens pensaient que cela ne marcherait pas. Je ne connaissais rien dans le domaine du print mais j’ai appris sur le tard. Je l’ai fait car il y avait une réelle attente des lecteurs et lectrices. Maintenant, ils sont très fiers de tenir en main un tel magazine comme le nôtre. Aujourd’hui « Afro Cooking » est vendu à plus de 35 000 exemplaires dans plus de 20 pays dans le monde. J’ai toujours eu cette âme d’entrepreneur. Déjà au collège, lorsque j’avais 13 ou 14 ans, je faisais des pralines, je revendais des sucettes, des cacahuètes sucrées à mes camarades. J’avais aussi un stock de glaces dans mon congélateur que je revendais à mes amis qui jouaient au basket, en bas de chez moi, durant l’été.
En 2013, tu organises l’évènement miss Congo Belguim réunissant les deux pays du Congo Brazzaville et de la RDC. Tu es foncièrement un rassembleur qui souhaite voir taire les divisions au sein de l’Afrique ?
Depuis tout petit, je ne me suis jamais posé la question de savoir « qui est qui ? » et « tu es d’où ? ». Je me rappelle que durant mon enfance, bien que je sois chrétien, après le ramadan, lors de la fête, nous étions et mangions tous ensemble, avec mes amis musulmans. Toutes les divisions et bêtises communautaristes sont arrivées en grandissant bien après. Je me suis intéressé au domaine des miss suite à ma participation à l’évènement « Miss Black France ». L’idée de réunir les deux Congo n’a pas été comprise ; j’avais envie de rassembler, au-delà des frontières et querelles habituelles. Nous avons eu un bel évènement et beaucoup de retours positifs, l’event était une réussite même si j’y ai perdu des plumes. Cependant, je ne le regrette pas.
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Tu voyages énormément. Au fond, qu’est ce qui fait courir Kossi Modeste ?
Ce sont généralement les autres qui me font courir. Pour moi, celui-là qui aura découvert le monde entier sera riche car il aura découvert les autres. Nous nous ouvrons l’esprit par les voyages et nous arrivons alors à mieux cerner les autres. Personnellement, j’ai découvert que l’être humain peut changer d’avis sur toi et laisser tomber les préjugés qu’il avait, avec un simple sourire. Grâce à mes voyages, je vois aussi des choses que je peux faire chez moi et trouve des idées. J’adore voyager, cela me nourrit beaucoup !
Lors d’une précédente interview, tu as évoqué la problématique de la libre circulation des personnes en Afrique, est-ce un thème qui te touche ?
Oui, car aujourd’hui, en Europe, les frontières sont ouvertes, ils se découvrent, et ils se rendent compte que l’union fait la force. En Afrique, c’est bizarrement l’inverse le continent est fermé, nous nous cloisonnons alors que nous devrions ouvrir les frontières. Prenons un exemple, la Côte d’Ivoire et le Ghana sont tous deux producteurs de cacao, c’est aberrant de voir qu’ils ne peuvent pas mieux échanger alors qu’ils ont cela en commun. Aujourd’hui, un européen voyage plus facilement sur le continent qu’un africain lui-même. Les choses sont en train d’évoluer dans le bon sens avec certains pays pionniers comme les pays anglophones, mais cela prend trop de temps.
A la maison, tu dis avoir eu comme modèle une famille dans laquelle papa et maman cuisinaient ensemble. Qu’est-ce que cela t’a enseigné sur la parité homme/femme lorsque nous savons que sur le continent et ailleurs, beaucoup d’hommes considèrent encore que seule la femme a sa place en cuisine?
En réalité, même dans nos sociétés très patriarcales, les femmes ont toujours entrepris mais on ne les mettait pas en valeur, ce qui est différent aujourd’hui, car avec le women empowerment, enfin elles occupent la place qu’elles auraient toujours dû occuper. La nouvelle génération est en train de prendre la place qui lui revient de droit et c’est tout à fait légitime. Je ne suis pas d’accord avec cette pression constante sur la femme a qui on demande, implicitement ou non, d’arrêter son métier pour élever les enfants etc. Je pense que ce sont des changements salutaires au bien-être de tous, et qui sont en train d’arriver en Afrique également.
Avec ton équipe, vous allez organiser “We Eat Africa” un festival dédié à la cuisine africaine le 07 juillet prochain à Paris, c’est un rêve qui se réalise ?
Oui, ce festival est important pour nous parce que nous avions envie d’apporter autre chose, au-delà de la cuisine. C’est d’ailleurs avant le chef Anto, rédactrice en chef d’AfroCooking, qui est au-devant de tout cela, car c’est son domaine. Notre motivation première était la visibilité et lorsque nous nous sommes rendus compte qu’un évènement de ce genre n’existait pas, on s’est dit que nous allions l’organiser nous-mêmes pour être également maître de nos savoir-faire.
Un festival culinaire sur l’Afrique à Paris, c’est une première du genre, peux-tu nous dire un peu ce que le public est en droit d’attendre d’un tel évènement ?
Il y aura plein de choses (sourire) comme des conférences autour de la cuisine, avec des thèmes comme la cuisine fusion contre la cuisine traditionnelle, par exemple. Nous comptons aussi faire le cheminement avec nos visiteurs de la terre à l’assiette, en invitant des agriculteurs, des cuisiniers, des exposants, des chefs, comme le chef Anto bien sûr, mais aussi Alexandre Bella, Ola Christian, Rougui Dia, Fatema Hal, etc. Ce festival sera aussi l’occasion de réfléchir aux problématiques liées à la cuisine africaine. Nous aurons aussi des ateliers pour enfants car c’est à cet âge-là que nous pouvons mieux transmettre le goût de la cuisine aux enfants, et bien d’autres surprises.
Le mot de la fin ?
Croyez et investissez en vous. Croyez en vos rêves même s’ils semblent fous. Les folies sont les seules choses qu’on ne regrette jamais.