Du 13 au 16 décembre 2018, le pop-up store créatif AfricaMontmartre accueillera la marque Asrafobawu, lors de sa 4e édition parisienne intitulée « Galactxmas ». Une marque africaine, pour les reines et les rois, qui met en avant les tissus typiquement africains tissés en Afrique tels que le bogolan, le kenté ou encore l’indigo. Pour la petite histoire, l’ASRAFO est un guerrier, un soldat, et un gardien des traditions. À travers son style, son attitude, mode de vie et son art il porte des messages essentiels d’espoir et de paix au monde qui l’entoure. L’occasion était trop belle pour moi de retourner à la rencontre de son créateur, le rappeur aux multiples talents Elom 20ce, pour connaitre les tenants et les aboutissants de cette nouvelle aventure qu’il embrasse. Discussion.
Selomcrys : Avec Asrafobawu, tu dis ne pas faire de la « mode ». Que veux-tu dire par là ?
Elom 20ce : Je suis très heureux de participer à l’évènement AfricaMontmartre mais oui, pour moi, ce n’est pas de simples vêtements fashion ! La mode est tendance et éphémère et si tel est le cas, je ne m’y reconnais pas car je suis venu pour durer avec Asrafobawu. J’accepte davantage le fait d’être incompris aujourd’hui, cela ne me gêne plus ; c’est comme l’enfant qui pleure, puis pleure davantage avant de finir par se faire, résigner. J’étais cet enfant il y a encore peu. Je voulais montrer mon art, j’espérais que cela leur parle, j’avais l’impression de prêcher dans le désert. Aujourd’hui je sais que tous mes cris n’ont pas été vains. A travers les vêtements, ce sont comme des milliers de personnes qui distilleront notre art et notre culture. Notre culture vaut le détour et il faut que cela se sache.
Selomcrys : Cela fait-il également écho à ta participation d’écrivain dans l’ouvrage collectif « Marianne et le garçon noir » qui évoquait la nécessité de la réappropriation de soi ?
Elom 20ce : La réappropriation de soi est vitale. Aujourd’hui, cet engagement se traduit par un autre outil, une autre flèche à mon arc. C’est juste le prolongement de mon art j’avais des choses à dire et j’utilisais mon rap, que j’utilise toujours d’ailleurs, je prépare mon prochain album, mais avec les vêtements c’est différent ! Se sont aussi les autres qui portent le message avec moi, sur leurs peaux. Le rap pour moi est beaucoup plus intime, personnel, car ce sont mes mots, ma parole, ma voix…
Selomcrys : Le bogolan peut-il toucher plein de monde, alors qu’il s’agit d’un tissu assez cher, donc que l’on pourrait taxer d’élitiste ?
Elom 20ce : C’est accessible à tous en réalité car si les personnes veulent bien se l’admettre, elles se saignent pour porter du Giorgio Armani ou se faire beau lors des soirées, des baptêmes ou des mariages. On veut porter la dernière robe ou veste tendance, les chaussures qui vont avec car ces personnes estiment qu’elles ont une très grande valeur et cela a bien sur un coût ! Et d’ailleurs, chacun chez soi, a une ou deux tenues précieuses que l’on converse jalousement pour les grandes occasions, pourquoi cela ne serait-il pas un vêtement en tissu africain ?
Selomcrys : Marions nous tissu Indigo ou Bogolan, c’est ce que tu prônes ?
Elom 20ce : Pourquoi pas ? Je veux casser des codes comme quand je fais porter un beau masque Kikuyu à une mannequin Kalinji ou encore un masque Kanaga à un Peuhl, il se passe forcément quelques chose, parce qu’il parait que se sont des ethnies qui ne peuvent pas se sentir. C’est politique ! Au Togo, on semble nous faire croire qu’il existe des problèmes entre Kabyé et Ewé, donc quand tu prends un attribut de l’un pour le faire porter et adopter par l’autre, tu dissous cette distance qu’on invente et alimente de toute pièce. Personnellement, je suis content de travailler avec tout de monde et je ne choisis pas les gens selon leur ethnie ou la couleur de leur peau…
Selomcrys : Tu ne veux pas tomber dans le piège de l’ethnicisme ?
Elom 20ce : Surement pas car c’est nocif à l’édification de la paix. Les supports peuvent varier mais ce qui compte c’est le message qu’ils véhiculent. Ce qui m’intéresse dans ce nouveau projet Asrafobawu c’est de pouvoir faire en sorte que le kenté que les rois Ashanti portaient à l’époque (et portent toujours) puissent aujourd’hui voyager pour atterrir sur les épaules d’un jeune américain aux Etats-Unis, sous une autre forme, style manteau capuche, peut-être descendant de ces rois, qui sait… C’est ma manière d’adapter notre culture à notre époque.
Selomcrys : Bogolan, Kenté, Indigo… Quelles sont les histoires derrière les tissus que tu mets en avant ?
Elom 20ce : Quand tu prends le Hoodie par exemple il y en a un qui s’appelle « efio » qui signifie « roi », fait de tissu, noir, blanc et doré. A l’époque, les premiers kenté étaient fait uniquement de tissu blanc et noir et réservés à la famille royale, et la légende raconte que c’est l’araignée qui a appris aux chasseurs à tisser! Nous avons un autre kenté plus jaune nommé « donkoussou » qui signifie « soleil ». J’essaye de connaitre la signification des pagnes pour savoir ce que je peux en faire et aussi le nom que je pourrai donner à mes créations. Quand l’ancien président du Ghana Kwamé Nkrumah était allé aux Nations Unies en 1963 et qu’il prononça son célèbre discours « Unis nous résistons » (We Must Unite Now or Perish), il s’est drapé d’un kenté que les rois portaient. Il doit en existait ici aussi au Togo, et j’aimerais en savoir davantage et documenter cela plus tard. On doit recenser notre histoire !
Selomcrys : C’est important de pousser les gens à la recherche ?
Elom 20ce : Je ne veux pas m’ériger en donneur de leçons. Mais il est vrai que le peuple africain ne connait pas son histoire donc ne s’aime pas parce que nous avons été amputé de nos langues, de notre culture, de notre histoire, nous sommes des acculturés. Lorsqu’on te coupe un membre tu auras du mal à aimer ton corps, c’est ce qui nous est arrivé dans un certain sens. Comment on sort grandi de cette blessure ? C’est le travail qu’il nous faut faire… l’Afrique a été et se fait toujours violer actuellement. Car le rapport de force est désavantageux pour elle. Il faut que l’Afrique se restaure. Nous ne sommes pas debout on ne s’est pas encore relevé, donc nous sommes toujours vulnérables et dans la position de victime. Nous nous sommes trop dévalorisés par le passé, nous devons restaurer l’estime que nous avons de nous-même pour mieux nous respecter et se faire respecter. Pendant longtemps nous avons dit : « aimez-nous, aimez-nous, nous ne sommes pas des animaux etc » et si nous inversions cela, et que nous commencions par nous appréciez et aimez nous-même déjà..
Selomcrys : Pour toi, il y a eu comme une falsification de l’histoire des noirs ?
Elom 20ce : Cheick Anta Diop a beaucoup écrit là-dessus et a été clair : Champollion le Jeune était clair sur la source de l’ensemble des sciences mais cela a été falsifié et tronqué pour nous minimiser. Oui, il y a eu une forme de falsification de l’histoire des peuples, notamment des noirs, pour pouvoir nier notre grandeur et notre humanité. L’Europe a pensé et pense encore que sa voix est La Voix à suivre, la réalité…
Selomcrys : Il n’y a pas qu’une seule voix à suivre selon toi, à l’heure du capitalisme ?
Elom20ce : Justement, non ! Il n’y a pas qu’une voix à suivre, car nous voyons bien qu’en Europe, le système prôné se casse la gueule. Prenez l’exemple des aliments bio, c’est ce qui se fait en Afrique depuis des lustres. En Occident, au contraire, ils créent des choses, des aliments ou des situations qui nous tuent, c’est fou. Quel développement peut nous épanouir lorsque ton enfant est tué par l’un de ses camarades qui est venu à l’école avec une arme à feu. Où est le progrès là-dedans ? Nous sommes dans des systèmes qui n’épanouissent pas l’homme.
Selomcrys : Asrafobawu, la marque des reines et rois mais où en vois-tu encore des reines et rois en Afrique ?
Ils sont partout, nous sommes tous des reines et des rois à notre manière. Et ils existent encore partout ici nos Togbui, à Togoville, Notsè, Aného etc… Et qui peut tester le swag d’un roi ashanti qui porte de l’or jusque sur ses chevilles ? Pourtant ils ne font pas de la mode, ils sont simplement eux. Je suis l’un d’eux et Asrafobawu sort de mon palais, qui n’est rien d’autre que mon palais, ma tête dans laquelle j’imagine et je crée. Pour moi, un roi il a une attitude, une manière de réfléchir, un agenda… le roi est de détenteur de la souveraineté mais beaucoup l’ont oublié.
Selomcrys : Comment peut-on oublier qu’on est un roi lorsqu’on est roi ? qu’est ce qui s’est passé ?
Elom 20ce : Nous avons oublié que nous étions des rois en Afrique car nous sommes des rois déchus car on a violé les femmes, on a cassé des choses, on a volé des trônes et objets qui sont dans des musées en Europe aujourd’hui, on a mis le feu, on a donné la royauté à d’autres comme cela s’est passé à Togoville notamment, y’ a une forme de dépossession de nous-mêmes.
Selomcrys : Quel que soit le support, le message semble rester le même. Est-ce seulement un changement de stratégie ?
Elom 20ce : Oui, quel que soit le support, j’ai un agenda (rire) ! A ceux qui se pose la question, je n’abandonne pas la musique pour faire autre chose, pour moi on peut faire plusieurs choses à la foi, je reste un musicien. Je propose juste quelque chose de différent avec ma marque. Pour cela je suis mon agenda, sans trop vouloir prendre en compte les incompréhensions ou les critiques. Je sais où je veux aller.
Selomcrys : Où vas-tu ?
Elom 20ce : Je vais vers moi-même, je pense qu’on est sur terre pour cela ; et dans cette démarche là je suis équilibré je veux redevenir qui je suis. C’est mon agenda et je dois m’y plier. Ceux qui pensent que je me disperse c’est leur vision, pas la mienne. Pour quelqu’un d’autre, dans son agenda il voudrait que je sois un zémidjan (conducteur de taxi-moto), je pourrai me plier à ses désidératas ou suivre mes propres plans. Tout ça comporte des risques mais c’est normal. Lorsque je réalise un clip comme « Comme un poison dans l’eau » avec Le Bavar, du groupe La Rumeur et qu’on y porte du Asrafobawu dedans, c’est beau.
Selomcrys : Tu souhaites toucher le cœur des gens avec Asrafobawu ?
Elom 20ce : Avant, je tentais de toucher le cœur des gens en passant par leurs oreilles. L’art oratoire. Aujourd’hui je veux toucher les gens à travers ce qu’ils voient et ce qu’ils portent sur leur corps !
Lire aussi Elom 20ce: les Africains restent dignes envers et contre tout
Selomcrys : Le visuel t’interpelle à ce point-là?
Elom 20ce : C’est très intéressant ce que tu viens de dire là, car oui, ma prochaine étape c’est Asrafociné ou je ne sais pas encore comment cela va s’appeler… Et d’ailleurs je le fais déjà dans mes clips. Les clips comme « Dead Man Walking » ou « Comme un poison dans l’eau » sont comme des mini-œuvres cinématographiques ! J’ai envie de me concentrer davantage dessus. Or, dans un film, il faut une bande sonore, des costumes etc… Pour mon clip « Castration Mentale » j’ai fait le design de beaucoup de choses comme le chapeau que je porte, par exemple. Je pense à Asrafobawu et ai conçu les premiers habits depuis 2015, c’est aujourd’hui que cela se concrétise réellement.
Selomcrys : Ta marque Asrafobawu on lz retrouve dans nombreux de tes clips et depuis longtemps, c’est tout un univers finalement ?
Elom 20ce : C’est vrai et je veux l’assumer aujourd’hui. Lorsque je monte sur scène je ne me dévoile souvent qu’après quelques minutes mais j’entre sous un tissu indigo ou bogolan. Cela surprend souvent plus d’un spectateur. Et j’ai toujours une tenue en kenté pour chacun de mes musiciens. Je créé des univers que j’expose au monde, après ça parle ou non aux autres… on n’est pas obligé d’être d’accord sur tout ! A la base, je le fais pour moi, je prends mon pied à le faire surtout parce que je le fais avec amour. Donc c’est forcément communicatif.