Il y a quelques temps, je discutais avec un petit frère qui m’exprimait son ras-le-bol. Quelques jours plus tard, un autre est venu confirmer ses propos. « Nous ne vivons pas ici, nous survivons en oubliant le côté humain ! » Je n’étais pas surprise. La réalité qu’ils décrivent, je la connais bien. Pas de boulot ! Pas de perspectives.. et j’en passe. Lors de notre échange, l’un d’entre eux que je résonnais sur les dangers d’une vie clandestine m’a dit : « être dans la légalité au pays des noirs, ce n’est pas évident non plus.» Je me suis tu, touchée au coeur. Je n’avais plus de mots, quand il a encore ajouté : « Dagan, ici, on a tout essayé ».
Ma génération a échoué. Quand je vois que de jeunes frères à moi risquent encore beaucoup (beaucoup trop) pour les sirènes de l’Occident, c’est que ma génération n’a pas assez su leur insuffler l’espoir nécessaire. Surement parce qu’elle même survit comme elle le peut. Aujourd’hui, ce 23 mai 2018, alors que nous honorons la mémoire de celles et ceux, captifs, qui partirent pour les Amériques, nos chers ancêtres africains, il y a de cela des siècles ; voir mes sœurs et frères désespérer d’un présent et avenir meilleur sur le continent est un coup au cœur. Pas le premier, mais tout de même.
Un coup qui m’amène aussi à me poser des questions sur mon engagement pour faire évoluer les mentalités. Principalement des plus jeunes. Steps by steps, par mes agissements, mes discussions, mes projets, mes coups de cœur mis en avant, j’essaye de leur dire « eh les gars, eh les sœurs, cet Eldorado dont on vous a parlé n’existe pas. Ensemble, maintenant, soutenons-nous, pour reconstruire l’Afrique et la rendre belle, lumineuse et fière. Peu écoutent. Bof. Elle parle encore, celle-là, non ? Car la jeunesse que nous sommes, sommes pressés. Pressés de jouir, de vivre, de posséder ! Or le shéma que je propose prendra du temps. Et il est miné d’embûche. Lorsqu’ils voient leurs anciens camarades, il y a de quoi se gratter la tête, pensifs. Grandes études. Grosse bagnolle. Gros compte en banque. En tout cas, c’est ce que dit Instagram.
Il y a encore quelques années, nombreux étaient aussi les « rentrés » de Yovodé (le pays des blancs) à faire miroiter une vie meilleure « là-bas ». Ils revenaient les bras chargés de cadeaux (souvent des capotilles ou des produits achetés, quitte à s’endetter à Paris) avant de rentrer quelques semaines au soleil de Lomé, ou d’ailleurs.
Ils mentaient sur leur logement, leur boulot, leur situation légale, tout.. Avouer que c’était dure, que les repas n’étaient pas toujours quotidiens, que les boulots pas toujours reluisants (changer les couches des personnes âgées, laver les toilettes sales dans les gares, travailler de nuit dans le gardiennage, nounou sans salaire ni sans horaire fixes etc) Jamais ! Plutot crever. La honte, ouais ! Mieux valait enjoliver un peu… voire beaucoup (trop?). Pour ne pas perdre la face. Car, rentrer était impossible. Qui financerait les études des deux derniers nés de la famille ? Qui s’occuperait de la maman restée au village ? Qui soignerait l’oncle malade et hospitalisé ?
On se demande pourquoi, en Afrique, les hommes meurent souvent en premier? Ne vous posez plus la question, j’ai la réponse: ce sont les soucis qui les emportent! (Il y a bien sûr d’autres raisons, j’en conviens) Je ne suis pas médecin, mais à bien observer la société dans laquelle nous sommes (un salaire = 8 personnes dont il faut prendre soin), normal que beaucoup crrrakkk.
Oui les femmes font beaucoup aussi, je ne le nie pas. Je suis une femme. Je sais. Seulement la pression sociétale incombe avant tout à l’homme (quand il y a un homme dans le foyer, bien sur) car, dans nos mentalités, c’est à l’homme de faire bouillir la marmite. Je sais que mes frères et soeurs ont déjà cette ritournelle entêtante, qui les obsède. Parce qu’ils veulent bien faire, ils s’exilent! Mali. Sénégal. Niger. Maroc. Libye. France. Canada. Italie. Tout, sauf ici.
J’ai envie de leur prouver qu’ils ont tort. Et leur redonner courage. Espoir. Cela me donne et doit nous donner à tous, des coups de pieds aux fesses! Afin que nos projets prennent vies. Car oui, s’il n’y a plus d’espoir, autant aller dormir de suite. Or, il y a aussi des rayons de soleil pour nous rechauffer et nous nourir, nous. Ici. Pas ailleurs. Je suis têtue donc j’ai la foi et puis, je « n’aime pas perdre » m’a dit l’un deux. Moi non plus.
Forcèment!