« Il faut faire avec ceux qui pensent que c’est possible, sinon on ne va rien faire avec ceux qui pensent que c’est impossible. »
L’éclair Elom 20ce revient en force en ce début d’année avec son nouveau clip « Eda Kplé Fessu » qui nous le rappelle : l’artiste n’est pas un corps étranger à lui-même. Dans cette nouvelle vidéo, le rappeur touche-à-tout souligne une fois de plus les maux de son peuple. Fervent amoureux du genre humain, Elom 20ce souhaite maintenant concentrer son art sur l’intime, pour mieux se dévoiler. Fondateur et co-organisateur de l’évènement culturel panafricain « Arctivism » depuis bientôt dix ans, l’artiste togolais, mais avant tout africain, a accepté de se livrer davantage pour nous. Rencontre.
Ton nouveau clip « Eda Kplé Fessu » est sorti ce 01 janvier 2018. Dans quel contexte cette chanson a-t-elle était écrite ?
Elom 20ce : Il est né lors de la rédaction de mon chapitre dans le livre « Marianne et le garçon noir ». Cela signifie « des cheveu et des ongles ». Lors de mes recherches, cela m’a renvoyé à la violence subie par l’Afrique, tant externe qu’interne. J’ai rappé en mina-éwé sur cette chanson, parce que la question de la préservation de nos langues est vitale, il ne faut pas les sacrifier au profit de la langue du colon. Malgré toute cette violence subie et qu’on subit encore, on est toujours là. « Eda kplé fessu » est lié à la violence, car dans la culture éwé quand quelqu’un meurt de mort violente ou lorsqu’on n’est pas capable de rapatrier les restes de cette personne à l’étranger, ce sont les ongles et les cheveux que l’on envoie et enterre symboliquement.
Tu dis aussi dans cette chanson « C’est ce que tu sais que tu es. Que sais-tu ? Des cheveux et des ongles. C’est ce que tu sais que tu es. Qui es-tu ? Des cheveux et des ongles. » Qu’est ce que cela signifie ?
Elom 20ce : L’homme est le fruit de l’ensemble de ses connaissances et la plus importante des connaissances et la connaissance de soi. Qu’est-ce que l’homme si ce n’est des cheveux et des ongles. On n’est rien mais en même temps on n’est beaucoup de choses. L’être humain à lui seul représente le monde. C’est une question de savoir et d’être. Et de savoir-être. Et le peuple africain ne sait pas qui il est. L’individuel est lié au collectif. L’enfant que tu as été n’est jamais loin de l’adulte que tu seras.
« Eda Klpé Fessu » est accompagné d’un clip-vidéo un peu particulier. Il s’agit d’un dessin animé pour adultes qui évoque les maux du peuple noir…
Elom 20ce : A la base, ce clip est né de l’idée qu’il est important pour nous de développer nos imaginaires. La musique, à la base ce sont des sons, mais c’est aussi des images, car ton imaginaire voyage. En plus, ceux qui m’écoutent vraiment, savent que je rappe des images. Un clip, selon moi, doit apporter un plus à la chanson. Or, le dessin animé permet de faire beaucoup de choses. Pourquoi les enfants aiment les dessins animés selon vous ? C’est parce qu’ils poussent davantage leur imaginaire. Il y a d’autres clips, toujours du même morceau qui vont sortir et qui sortiront sous d’autres formes, et qui seront une autre partie du puzzle.
Pourquoi cette obsession pour la cause noire ?
Elom 20ce : Parce que c’est moi, nous sommes cette cause-là. La question de la cause noire est une question de dignité, de notre place dans le monde, et de ce que nous faisons pour créer une société plus agréable. J’ai des enfants aujourd’hui, ils vont me poser des questions plus tard ; si tu arrives sur cette terre en tant que Noir on te traite comme un sous-homme, l’histoire nous l’a rappelé et nous le rappelle encore. Nous avons un devoir à faire pour que nous soyons acceptés tel que nous sommes. C’est un travail à plusieurs niveaux dont un travail sur nous-mêmes afin d’accepter qui nous sommes. Un travail personnel et un travail collectif. On veut toujours se regarder au travers de l’Homme Blanc. Il faut au contraire s’en affranchir.
Indigo est ton second album. Pourquoi étais-ce important de sortir un vinyle de rap au sein de ta discographie ?
Elom 20ce : C’est un plaisir personnel car je suis un amoureux du vinyle et je pense qu’il impose une relation humaine à la musique assez différente, c’est-à-dire que tu ne peux pas zapper facilement les morceaux d’un vinyle, tu prends le temps de découvrir et redécouvrir le son. De plus, le son est meilleur via le vinyle, ça « crache », le grain sonne différemment, c’est authentique c’est vrai, c’est particulier. Le vinyle est aussi un objet qui fascine. Il y a deux ans déjà lorsque j’ai choisi cette photo pour la cover de mon album, je l’ai de suite imaginé en vinyle. Dans le rap africain, notamment en Afrique francophone, c’est inédit de sortir des projets sous ce format-là. J’aime aller là où les autres ne vont pas.
Au-delà de ta vie d’artiste, tu es également un fervent panafricaniste. Récemment le professeur Kako Nubukpo a été remercié par son employeur, l’OIF, pour propos tenus contre le F CFA et dit contraire à sa fonction. Juges-tu cette sanction trop sévère ?
Elom 20ce : Cette sanction ne m’étonne pas. Ces africains qui travaillent dans ces organisations sont piégés, ils ont une vie privilégiée, mais ne peuvent pas défendre les intérêts des leurs. Kako est à féliciter. Quand on vire un Frère de la « plantation », c’est au quilombo* qu’on le rend. Il faut des organisations viables et stables financièrement qui bossent pour nous et travaillent sur nos questions et travaillent pour nos peuples.
C’est ce même Kako Nubukpo qui, il n’y a pas si longtemps, était ministre au sein du gouvernement togolais. Et pourtant tu sembles le soutenir…
Elom 20ce : Je pense qu’à un certain âge les gens font des choix qui semblent contradictoires parce qu’ils doivent répondre à des responsabilités que le système impose : payer des factures, prendre soin des enfants, etc. Mais au-delà, je pense qu’il avait voulu apporter sa part. Je n’en veux pas à Kako d’avoir pensé qu’en collaborant avec ce régime ou bosser avec l’OIF, les choses allaient changer. Je ne veux pas le juger. La question n’est même pas là. Je suis pour ceux qui essayent et font des erreurs. C’est trop facile de s’asseoir et de critiquer. J’ai de l’affection pour ce monsieur. C’est un bâtisseur de ponts, je le respecte. Il faut faire avec ceux qui pensent que c’est possible, sinon on ne va rien faire avec ceux qui pensent que c’est impossible.
Au Togo, la coalition des 14 partis de l’opposition manifeste et proteste contre le pouvoir de Faure Gnassingbé depuis août 2017. Toi-même, que souhaiterais-tu que le pouvoir en place comprenne ?
Elom 20ce : Le pouvoir en place doit comprendre que le monde évolue. Nous ne sommes plus à l’époque de la guerre froide où on soutenait aveuglement des régimes qui méprisent leur population. Il faut qu’il comprenne que le changement, notamment l’alternance est un impératif et que c’est quelque chose dont ils pourront bénéficier encore dans les années à venir. La crise togolaise ne pourra pas être totalement résolue que par les togolais. L’implication sincère des voisins est nécessaire. Je pense au Ghana, au Bénin, au Burkina, ils sont les premiers à subir nos crises. A mon avis, il y a trop de calculs des deux côtés, il faut plus de bonne foi ; l’entrée en scène du PNP donne un souffle nouveau, redessine les cartes et permet de ne plus lire le conflit sur le plan purement ethnique, et c’est bénéfique. Je ne sais pas ce qui va se passer en 2020 mais ce qui se passe actuellement est important pour mener des discussions saines pour le peuple togolais.
Le Togo n’est pas le seul pays d’Afrique où le peuple semble aujourd’hui vomir son président. Je pense au Congo, au Gabon… Globalement, est-ce l’Afrique qui a un problème avec la façon dont le pouvoir y est exercé ?
Elom 20ce : Cela ne se passe pas qu’en Afrique, mais c’est ici qui m’intéresse. On a encore du chemin à faire ici car les personnes en place s’accrochent. C’est comme un employé qui refuse de travailler ou n’arrive pas à répondre aux attentes liées à son poste mais ne comprends pas qu’on veuille le licencier. Ils sont en poste et veulent continuer à dormir et à manger au bureau. Ils (chef d’état, ministres, députés) ne veulent pas rendre compte sur leur bilan. Or le peuple est l’employeur et ils sont nos employés. Eux pensent qu’ils sont les employeurs ; En Europe ils l’ont peut-être mieux compris. On a encore du chemin à faire. Nos états sont dirigés comme des entreprises familiales. C’est ce qu’il faut commencer à changer dans la tête des gens. Même les employeurs (donc le peuple) se croient employés, d’où la prolifération des larbins.
Tu es à un moment de ta carrière où tu dis vouloir davantage travailler sur l’intime. Pourquoi ce choix ?
Elom 20ce : L’artiste n’est pas un corps étranger à lui-même. Tout tourne autour de l’intime. Des questions qui te taraudent seules en silence, tes vérités, tes cicatrices, ce que tu trouves moches ou beaux sur toi. Le regard que tu portes sur toi. C’est là que tout commence. Lorsque tu ne portes pas un regard bienveillant sur toi tu ne fais rien de constructif. Les difficultés, les épreuves, c’est la vie, même si elle est belle. Il faut savoir les affronter pour aller au-delà. Être bon et ne pas être trop dur avec soi-même. Indigo, pour moi c’était ça. C’est un projet qui venait de l’intime, le nu. Je veux davantage livrer qui je suis, aujourd’hui.
Nous venons d’entamer une nouvelle année. 2081 comme tu aimes le dire. Que pouvons-nous te souhaiter pour la suite ?
Elom 20ce : Souhaitez-moi seulement que la volonté de Dieu s’accomplisse dans nos vies respectives. Elle se fait toujours, de toute façon. Pour moi-même, je me souhaite la paix. Ça passe par mes réalisations artistiques et activistes.
*quilombo: En Amérique du Sud, au temps de l’esclavage, le quilombo (au Brésil) ou palenque (dans les colonies espagnoles) désigne les villages et communautés formés par les esclaves en fuite dans les régions reculées à l’intérieur des terres.
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