Véritable virtuose de son état, le guitariste rock Amen Viana est l’un des dignes héritiers de Jimi Hendrix et de Bob Marley. Son dernier projet Electric Togoland, mêle avec bonheur le rock aux musiques traditionnelles, avec de grands artistes togolais que l’homme affectionne comme King Mensah. Aujourd’hui, le guitariste aux doigts magiques prépare son 6e album : The Africanalyst. A l’aise dans tous les univers tel le reggae, le rap ou encore la pop, ce « musicanaliste », comme il se nomme lui-même, est également chanteur, compositeur et arrangeur. De passage à Lomé pour quelques jours, il a accepté de se confier à mon micro. Rencontre.
Amen Viana, tu es issu d’une famille de musiciens. Comment cela se passait-il à la maison ?
J’ai grandi à Lomé, dans le quartier de Bè Kpota où tout a commencé. Je suis le dernier enfant d’une famille où tous aimaient et faisaient de la musique. J’ai baigné dans un milieu très musical, il n’y avait pas un jour où nous n’écoutions pas de la musique à la maison. Mon grand frère Jeannot aimait beaucoup Bob Marley, c’était lui le Bob Marley du quartier, il chantait et jouait de la guitare. C’est lui qui m’a montré mes premiers accords. Mon autre grand frère, Jöel, aimait lui Julio Iglesias. Adel, ma sœur, aimait plutot Nana Mouskouri. Mon père jouait un peu de la guitare aussi. Mon frère Patrick, lui, s’intéressait davantage à la musique traditionnelle. Il formait un groupe avec King Mensah qui s’appelait « Les dauphins de la capitale ». Ma sœur Mireille aimait davantage la variété française. Tous avaient leur univers. Par la suite, j’ai aussi appris à aimer Jimi Hendrix et Bob Marley. Le fait d’avoir baigné dans tout cela m’a aidé à m’adapter à tout style de musique, par la suite. Encore aujourd’hui, j’écoute tout ce que j’ai toujours écouté enfant, mais j’ai deux grandes références incontournables : Bob1, pour le coté charismatique et ses textes et Jimi2, pour le coté virtuose.
Le désir de faire de la musique a t’il était une évidence dans ton parcours de vie ou avais-tu d’autres aspirations professionnelles ?
J’avais effectivement d’autres envies mais cela reste dans le domaine de l’art. Je voyage beaucoup et suis forcément influencé par mes rencontres. Lorsque j’étais plus jeune, je dessinais beaucoup, c’est toujours là, j’aime aller voir des expositions-photo ou peinture. Cela m’arrive encore de prendre un crayon et de faire des portraits mais cela reste encore assez personnel, pour le moment. Après, la musique est l’épine dorsale de ma vie, elle est incontournable dans mon univers.
Tu es né et tu as grandi au Togo. Un pays où tu reviens souvent, même si tu vis aujourd’hui en France. Peux-tu nous raconter ton enfance ?
L’engagement et le charisme des jeunes du quartier en faveur de la musique étaient très forts à l’époque. La plupart étaient des autodidactes. Tout ce que je fais aujourd’hui vient de mon quartier de Bè-Kpota. Dans ce coin-là, nous nous passions une guitare pour apprendre. Peu à peu, elle faisait le tour des maisons, nous formions une grande famille. Nous avons gardé nos liens ils sont mes références, comme mon manager togolais Jean-Marie que je connais depuis l’enfance. Au-delà de la musique, c’est notre vie entière qui se déroulait sur le chemin de l’école, nous étions comme en représentation de nos rêves. Le monde artistique et celui du football nous parlaient beaucoup. Nous faisions des concours de break danse dont le chanteur King Mensah était le roi à l’époque (sourire). Nous faisions des tag aussi avec des phrases de Bob Marley sur les murs.
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Parle-nous un peu de tes débuts dans le milieu musical ? Où as-tu reçu ta formation?
Je suis un autodidacte, j’ai appris seul sans prendre de réels cours de guitare, j’ai dû beaucoup travailler pour avoir le niveau que j’ai aujourd‘hui. Mes débuts professionnels se sont faits lorsque j’étais au Lycée de Tokoin, à Lomé. C’est l’époque où j’ai eu la chance de rencontrer Jimi Hope. Il a été mon mentor et l’ai encore aujourd’hui, d’ailleurs. Cet homme généreux m’a offert plein d’opportunités, il a été notre bibliothèque et notre discothèque. Je dis notre car nous étions plusieurs à bénéficier de ses largesses comme par exemple Alain Apalo, grand guitariste de jazz qui vit actuellement au Danemark. Il avait tout un tas d’anecdotes à partager avec nous sur la musique. C’est lui qui nous a appris tout ce que nous devions savoir sur les musiciens et les courants musicaux du Togo!
Comment s’est faite ton adaptation dans le milieu musical français, une fois arrivé à Paris?
J’ai débarqué en France en février 2004, c’était en plein hiver, guitare dans la main. J’ai alors essayé de me placer. Tous les soirs, j’étais dans les clubs parisiens comme Le one way, Porte de Clignancourt, 14e L’utopia dans le 14e arrondissement de Paris ou encore Le tchao bar à Pigalle. A Paris, il y avait de quoi faire pour tout le monde même s’il fallait faire ses preuves. « Tu ne sais pas à quel point tu es fort jusqu’à ce qu’être fort est ta seule option » disait Bob Marley. Il disait vrai. J’ai quitté mon pays natal parce que j’étais arrivé au bout de ce que je pouvais faire sur place. Je suis un caméléon de la musique. Pour moi, la musique passe par une analyse globale et personnelle et c’est par ce biais-là que j’arrive à m’exprimer le plus véritablement, dans tous les sens du terme. J’y associe aussi un véritable travail de recherches. Mon dernier projet « Electric Togoland » m’a prit cinq ans de travail; mais cela aurait été plus facile si j’avais eu la chance d’être mieux suivi et accompagné par des politiques d’accompagnement culturel.
En 2001, avant ton départ du Togo, tu chantais « Gamessou », où tu y parlais de fraternité et de connaissance de soi. Est-ce encore pour toi une thématique importante à transmettre à tes frères et sœurs togolais?
Oui, parler de fraternité et de connaissance de soi est toujours important. A l’époque, il était temps pour moi de tracer mon propre chemin, nous avons tous vocation à élargir notre chant par notre éducation et notre culture. Nous avons tous besoin de renaitre à un moment donné. Mon chemin est toujours devant et je suis en train de le suivre fidèlement, qu’il m’amène à des carrefours ou des culs-de-sac. Ce qui est sûr c’est qu’il n’a pas de fin. C’est mon hymne à moi. J’ai hâte de me nourrir d’autres cultures… Cuba, la Jamaïque ou encore le Vietnam. Ces pays seront normalement mes prochaines destinations.
Toujours en écho à ce morceau « Gamessou », de quoi est-il temps aujourd’hui pour Amen Viana ?
Il est surtout tant de ne rien lâcher et d’ouvrir les frontières musicales. Il est temps de permettre aux gens de vivre de leur art, car sans la culture il n’y a pas de civilisation, ni de pays. Lorsque nous ne donnons pas la chance aux artistes de s’exprimer, on tue le pays. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis partie, je n’avais plus ma place ici car l’avenir était bouché. Apres plusieurs années, j’ai le sentiment que c’est pire que lorsque je suis partie, la culture est étouffée et qu’il ne se passe plus rien, alors que ce pays regorge de talents. C’est vraiment dommage ! Electric Togoland je l’ai donc pensé comme mon apport personnel en tant qu’artiste rock à une nouvelle vision de la musique de chez moi, tout en corrigeant certains manquements que j’ai constaté et afin de lui donner une portée plus internationale.
Tu as eu le plaisir de jouer aux côtés de grands noms de la musique tel que Miriam Makeba, les Black-eyed Peas, Vieux Farka Touré, Keziah Jones etc, que retires-tu de ces expériences ?
J’ai eu la chance de commencer jeune et ce n’est pas fini j’ai toujours envie d’apprendre et de partager avec le public. Cette ouverture d’esprit me vient de mes parents qui ont été des personnes très ouvertes pour favoriser l’épanouissement de mes frères et sœurs et moi. Je partage joyeusement avec le public mais la chose primordiale, c’est le travail. Je fais partie d’une époque où l’ordinateur portable n’existait pas encore, alors on travaillait dur. En plus, j’ai toujours eu la conviction que ma musique peut affranchir les gens, guérir les peuples, les malades, leur donner de l’espoir … la musique possède une force extraordinaire.
En 2016 au Maroc, tu as également participé au Festival Taragalte, au Sahara, en plein désert. Peux-tu nous décrire ta participation dans ce lieu inédit?
L’expérience du désert est juste unique et inédite. Faire de la musique dans cet endroit immensément vaste est presque une expérience spirituelle. C’était génial, la connexion, le son qui sonne différemment, avec le vent qui délivre son message à l’oreille. J’y ai vécu une expérience humaine sans précédent, là-bas, nous avons tous oublié nos hôtels et nos règles. Dans le désert, nous sommes tous pareils. J’entends encore ce vent et ses messages, parfois.
Après cinq albums à ton actif, tu t’apprêtes à sortir l’album Afro-rock « The Afrocanalyst », peux-tu nous dire à quoi le public doit-il s’attendre ?
Ce nouvel album est au chaud pour le moment et je ne t’en dirai pas plus (sourire) car c’est encore en cours de réalisation, mais sa sortie est prévue pour courant 2018. Le titre évoque un voyage, avec ses péripéties. Ce que je peux déjà vous dire c’est que j’y ai invité les artistes Akua Naru et Keziah Jones qui m’ont fait l’amitié de répondre présents. Je prépare aussi un film documentaire sur la réalisation de mon album Electric Togoland. Aujourd’hui, l’image est associée à la musique et je pense que nous avons besoin de cela pour que le monde entier écoute davantage ce qui vient du Togo et découvre ses artistes.
Si tu avais un message à l’endroit de ton public togolais, lequel serait-il ?
Ce serait le message de « Gamessou », c’est-à-dire qu’il est temps que nous avancions sans laisser les autres nous dicter ce qui est important pour nous. Il est temps que nous sachions qui nous sommes avant de renaitre. Nous sommes dans un contexte où il est facilement difficile de se perdre sur notre identité, car il y a comme un lavage de cerveau depuis plusieurs années qui ne nous permet pas forcément d’identifier ce qui est bon pour nous à tous les plans, et pourtant il va bien falloir y parvenir. Nous devons réacquérir une vraie identité culturelle, les autres pays y parviennent mieux que nous car ils ont une réelle politique culturelle et artistique. Ma musique peut y aider. La musique, de manière générale. Elle peut soigner, aider les gens à s’affranchi, je me suis moi-même affranchie grâce à la musique.
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1 Bob Marley
2 Jimi Hendrix