Momo Kankua tente encore de découvrir totalement qui il est. Mais une chose est sure, l’artiste slameur a plus d’un tour dans sa besace. Le natif de Lomé est l’un des reporters francophones de la plate-forme « Les Hauts-Parleurs ». Egalement entrepreneur culturel, le jeune homme qui a grandi à Adidogomé, initie notamment « Bissap Philo » en 2010 et « la journée internationale du slam » en 2017. Très à fleur de peau, ses textes reflètent une personnalité sensible, touchante et attachante, qui manie les mots avec ruse et mélodie, pour nous transmettre ses urgences, celles de son cœur et de son continent. A l’occasion de la sortie de son morceau « La prière du violé », de son 1er album à venir « SoiZic », je suis allée à la rencontre de cette artiste incontournable de la scène slam au Togo. Zoom.
Selomcrys : Pourquoi cette thématique du viol ?
Momo Kankua : Comme ailleurs, j’estime que notre peuple est violé, on n’arrive pas à faire des choses comme on le souhaiterait, on nous force à faire certaines choses contre notre volonté, nos « non » et nos « oui » ne sont pas respectés, on nous viole constamment. On est englouti par un système parfois dictatorial, d’autre fois capitaliste. Comme le dit le texte, je parle du fait que nous subissons une forme de violence sans pouvoir manger à notre faim, ni pouvoir nous soigner etc. Cette complicité que nous avons envers le système qui nous dirige est grave. Après le morceau fini par une prière au ciel, afin de nous aider. C’est aussi une incantation forte pour dire de ne pas abandonner car l’eau finira par jaillir. Il s’agit aussi d’un hommage à ceux déjà partis avant nous, on prend leurs armes et on avance avec. Ce qu’ils nous ont laissé sont des graines qui vont germer et impacter nos vies.
Selomcrys : Pourquoi inviter le Créole et le Portugais sur ce slam ?
Momo Kankua : Le créole et le portugais (certains pays africains maitrisent cette langue héritée de la colonisation) c’est parce que au-delà de l’Afrique, la diaspora compte. Toutes les langues sont les bienvenues et font un bon cocktail à mes yeux. Il y a une différence fondamentale entre les animaux et les humains, et cette différence réside dans la langue. C’est cette force là que nous avons qui permet de créer, de s’exprimer, de rendre l’invisible visible… Je veux impacter le monde et toucher la conscience collective pour aller plus loin et faire mon art. Je voulais m’ouvrir au monde et interagir avec d’autres univers que le mien, dans lequel j’évolue et suis confortable.
Selomcrys : Pour quelles raisons as-tu fait le choix d’utiliser également ta langue maternelle sur cet album SoiZic ?
Momo Kankua : On n’existe que de part la racine. Parler ma langue dans cet album est un moyen pour dire au monde que nous existons, mon peuple et moi. C’est donc une invitation à entrer dans mon monde. Cet album est aussi destiné aux générations futures, à ces enfants que nous ferons demain si Dieu nous prête vie. Parler ma langue est donc fondamentale. Je parle l’éwé (et non le mina) cette langue pure souche, j’espère qu’elle résonne en chacun et que cela les interpelle. Cela ressoude déjà certains liens entre générations car certains jeunes m’ont expliqué être allés voir leurs parents pour comprendre certains passages de mon morceau.
Selomcrys : Lors de notre entretien, tu as déclaré ne pas bien savoir qui tu es aujourd’hui. Peux-tu nous expliquer cela?
Momo Kankua : Je sais d’où je viens. Je connais l’histoire de mes parents, celle de mes grands-parents, de ma famille, de mon village et du Togo. Mais il reste en moi une quête, celle du devenir. Je ne sais pas qui je suis aujourd’hui car je fais beaucoup de choses, je suis multifonction, ça c’est une certitude. Dans chaque domaine, je me présente d’une manière ou d’une autre. Des fois, j’ai des aptitudes qui me surprennent et que je découvre. C’est aussi une forme d’humilité pour moi de ne pas me présenter comme tel ou tel, car je ne suis pas grand-chose ; seulement un être humain au service de l’humain qui essaie de faire sa part.
Selomcrys : Qu’est-ce que tu as voulu transmettre d’urgent dans ce slam?
Momo Kankua : L’urgence réside dans le fait de se parler, de s’ouvrir au monde, d’ouvrir le champ. Ce qui se passe au Togo est pareil que ce qui se passe, à des différences près, au Gabon, au Bénin ou ailleurs. Et ce qui se passe en Afrique, n’est pas tellement différent des soucis que nous voyons dans les Antilles, aux USA etc. Les noirs que nous sommes sont en train d’être violés, à ciel ouvert, devant le monde entier et les gens ne peuvent pas réagir. Il y a aussi un système capitaliste qui martyrise les peuples au-delà même des états et qui englobe tout. Il est important de dire au monde entier que nous sommes tous dans la même galère, donc nous devons nous ressouder pour agir dans nos intérêts.
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Selomcrys : Le nom de l’album est SoiZic, prénom breton qui signifie « petite France » pourquoi ce choix ?
Momo Kankua : C’est un mélange entre soi et la musique donc « sic » que je pratique. C’est aussi ironique vu la signification. Dans nos pays les langues sont en train de partir, de se perdre, tout doucement. C’est un rappel à nous-même par rapport à cela pour se demander si on va (et souhaitons) devenir de petits français et françaises sur le sol togolais… c’est aussi un hommage, pour dire merci à une personne rencontrée en Europe, qui s’en me connaitre, m’a tendu la main et s’est occupée de moi. Peu importe là où l’on se trouve, un ange peut toujours prendre soin de nous.
Selomcrys : Au-dela des titres « Sodomie », « mon sperme », « la prière du violé », que pouvons-nous attendre de plus sur cet album ?
Momo Kankua : Dans cet album, j’avais envie de rendre hommage à mon père et de lui dire tout ce qu’il a été pour moi. C’est une personne qui a beaucoup compté pour moi. Son exemple et son courage, notamment lors des troubles des années 1990 au Togo m’édifient encore aujourd’hui. Je voulais aussi parler à cette génération que nous sommes. Il n’y a pas de parents parfaits, tout se fait par les actes. Je suis quelqu’un de très famille. Un autre titre parle des femmes et j’exprime ce qu’elle représente pour l’humanité. Je leur adresse un message pour dire que le mal de la femme c’est la femme elle-même. Elles doivent plus solidaires entre elles. Pour moi, nos pères ont eu de vraies femmes, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Que cela plaise ou non, c’est mon avis. Il y aura aussi d’autres surprises à venir sur cet album.
Selomcrys : Tu parles beaucoup du monde qui t’entoures et des fléaux de la société actuelle, te considères-tu comme un militant ?
Momo Kankua : Je ne dirai pas cela, c’est peut-être trop présomptueux. Je suis un humain au service de l’humain. Je prends position car un homme ne peut pas ne pas prendre position, selon moi. Je le fais donc au nom de l’humain et des injustices flagrantes qui me sautent aux yeux et je demande à chaque personne son petit acte de bravoure, pour que tout aille bien. Il faut se voir en l’autre. Ce n’est seulement que comme cela qu’on peut éprouver de l’empathie et aider son prochain. Sur la question politique, je comprends ceux qui veulent vivre tranquille, sans trop se poser de questions, mais je pense qu’il faut réfléchir à ce qu’on est et ce qu’on veut laisser comme monde à nos enfants. Les peuples vont s’affranchir tôt ou tard. C’est simple, « nous voulons de l’eau pour tous et non du champagne pour quelques-uns » comme le dit la citation célèbre ! Il faut qu’on arrête de faire des compromis qui mettent en danger notre devenir. Pour cela, l’éducation est la base. L’Afrique ne s’en sortira qu’une fois les peuples unis et donc forts. Aujourd’hui, voyager en Afrique est compliqué et très cher. Lorsque les barrières tomberont, nous serons vaillants, dignes et plus grands que les pyramides.