Il y a de ces écrivains qui vous transportent dans leur univers, tout naturellement, sans crier gare, avec brio. Aphtal Cissé est de ceux-là. Et bien que le communicant de profession peine encore à se définir comme tel, je peux vous assurer qu’il a une très belle plume. Teintée d’un humour fin et agréable, ponctuée d’anecdotes croustillantes sur sa vie à Lomé, l’écriture de ce jeune bloggeur de 27 ans (suivez le sur : nom de ton blog http://aphtalcisse.tg) est un vrai régal. Avec son premier ouvrage rédigé sous formes de nombreuses chroniques, « Le Bruit du Silence », Aphtal Cissé dépeint sa génération, son pays et son époque avec justesse. Bosseur et passionné, le togolais de moins de trente ans, prépare également un nouveau livre (un roman, cette fois) nommé « La douleur de ceux qui restent », qui évoquera les relations homme-femme. Une belle façon d’aller à la (re)découverte de soi, comme tente aussi de le faire cet auteur. Rencontre.
Selomcrys : Présente-nous ta première œuvre littéraire « Le Bruit du Silence » ?
Aphtal Cissé : Je l’ai écrit comme mon journal intime laissé à la cuisine où tout le monde passe et le consulte, c’est paradoxal pour un journal intime. Il parle beaucoup de moi, retrace ce que j’ai pu avoir comme conviction, ce que je continue à avoir, des bribes de moi, des faits qui me sont arrivés ou à des proches ; je trouve cela sympa de partager cela avec le public.
Selomcrys : D’après toi, quel genre d’écrivain es-tu ?
Aphtal Cissé : Je ne sais pas si je suis écrivain (sourire) ce n’est pas de la modestie c’est plutôt du réalisme car pour moi l’écrivain sort un vrai ouvrage qui s’inscrit dans une catégorie bien définie, ce n’est pas vraiment mon cas avec mon ramassis de chroniques.
Selomcrys : Qu’est-ce que tu as cherché à transmettre à travers ton ouvrage ?
Aphtal Cissé : Ce sont des articles de mon blog, pour la plupart, et j’ai voulu quitter le numérique pour le physique parce que le côté intemporel et solennel du « vrai » livre me touche. On s’approprie plus aisément un ouvrage physique selon moi, on se dit « ah j’ai du Ahptal Cissé entre les mains » et un lien intime se crée entre le lecteur et l’auteur. En plus, la mode dit que c’est sexy de posséder une bibliothèque. J’ai personnellement deux étagères dans le salon qui font office de bibliothèque pour le moment. C’est un espace important pour moi, il me permet de garder les pieds sur terre, de rester humble car, à une époque où la technologie n’existait pas encore, des personnalités telles que Amadou Kourouma ou Ampaté Bâ ont écrit des chefs d’œuvres d’une telle notoriété qu’ils sont encore étudiés aujourd’hui ! Le livre traverse les continents et les âges. C’est comme un héritage aussi que tu laisses…
Selomcrys : Qu’est ce qui te plaît dans le fait d’écrire un blog ?
Aphtal Cissé : C’est un formidable moyen d’expression, surtout dans un pays comme le nôtre où on n’a pas d’espace pour se défouler, c’est mon exutoire ! Tu gueules contre tous, tu parles de ce que tu veux etc. Lorsque j’ai débuté, c’était une activité peu connue et j’ai très tôt été adulé car j’abordais les raisons de la frustration de la jeunesse togolaise sans complexe : le système LMD qui venait nous bloquer à l’université, la pauvreté, la situation économique et sociale du Togo, les relations amoureuses… elles ne manquaient pas ! Aujourd’hui, à 27 ans, je prends beaucoup plus de recul et je choisis mieux mes thèmes et mes propos à l’heure des réseaux sociaux où tout va si vite…
Selomcrys : « Le Bruit du Silence » décortique avec justesse la société togolaise d’où tu es issu…
Aphtal Cissé : C’est une manière de décortiquer le Togo, de dire comment on voit les choses, une manière de faire voyager nos mœurs. Par exemple, ma maman est toujours là dans ma vie et pourtant pour moi elle ne sera jamais en concurrence avec ma femme, comme cela peut l’être dans certains foyers. Je pose des limites claires, chacune sa place. J’ai reçu une éducation conservatrice mais très bonne. Mon père est Kotokoli, il n’a jamais été notre ami, il gérait sa maison comme un régime présidentiel, et le parlement revenait à ma charge, en tant que fils aîné. Le respect de la hiérarchie comptait pour lui. Il a beaucoup considéré ses enfants, on donnait nos avis sur certains de ses projets pour lesquels il nous consultait.
Selomcrys : Tu parles beaucoup de relations amoureuses dans ton livre et tu es issu d’un mariage polygame, que penses-tu de cette pratique ?
Aphtal Cissé : Chaque couple se gère comme il peut, mais la polygamie ça doit être épuisant, car déjà une seule femme c’est épuisant (rire) ! Pour moi, si tu peux faire face et si vous vous comprenez, ok. Mais pour moi, si tu es en harmonie avec une personne, t’as plus besoin de chercher une autre personne ni même le temps pour cela, tu n’es plus obnubilé par le bonheur de quelqu’un d’autre. Après, à mon avis, l’erreur se fait à la base : on ne rentre pas en mariage pour chercher du bonheur ou que l’autre vous complète mais pour partager plus de plénitude ensemble. La nature a horreur du vide, alors c’est malheureux de se sentir seul auprès de quelqu’un qui est censé vous apporter un peu plus d’harmonie et de paix.
Selomcrys : En te lisant, on découvre un fervent défenseur des femmes, tu nous en dis plus…
Aphtal Cissé : J’avais une copine il y a quelques années, on était très amoureux, mais j’étais dans une période difficile de ma vie, ça merdait à l’époque à la fac je ne savais pas trop quelle orientation donner à ma vie. Puis, elle a commencé un stage, un gars l’a dragué au bureau et elle l’a choisi lui, en me quittant, alors que c’était un père de famille marié… J’en étais malade, j’ai maigri. A l’époque, maman m’a même demandé de faire un test de dépistage du VIH/Sida car j’étais vraiment malade. En résumé, j’ai compris que parce que je galérais, elle n’était pas prête à galérer avec moi, même si elle ne s’attendait pas non plus à ce que son homme marié quitte sa femme pour elle… Ce qui plaît aux femmes ce sont les hommes qui voient loin c’est rassurant. C’est ce que j’ai compris des femmes donc je ne les juge pas.
Selomcrys : Selon toi, les femmes se querellent trop et sont incapables de s’entendre entre elles ?
Aphtal Cissé : C’est purement vrai, la femme n’aime pas la femme. Je remarque que les femmes africaines sont très frustrées sur beaucoup de plans. Un jour, j’étais au marché avec ma femme, je tenais ses courses et une dame s’en est plaint à moi en traitant ma femme de capricieuse ! Cela m’a surpris. Or, je l’avais proposé moi-même cela ne me gêne pas de le faire je le fais quand je le veux moi-même à ma femme pour lui faire plaisir, j’ai trouvé cela bizarre qu’une femme y trouve à redire et ne défende pas une autre femme. La société a normalisé la souffrance de la femme en Afrique et ailleurs, c’est même valorisé ! Une femme doit faire ci et ça. L’éducation est le nœud du problème, car, du moins en Afrique, ce sont les femmes qui éduquent finalement. Instinctivement et par habitude, les femmes sollicitent encore davantage leurs filles, voir exclusivement, en cuisine, par exemple ! Pour moi, les femmes doivent se battre pour apporter de l’argent à la maison ce n’est qu’ainsi qu’elles sont et seront davantage respectées par leur homme.
Selomcrys : Ton prochain livre « La douleur de ceux qui restent » est un roman. C’est un nouveau pari pour toi ?
Aphtal Cissé : On a trop tendance à accuser ceux qui partent et on ne prend pas le temps d’écouter les restants. Or dans toutes les séparations, il y a toujours un coupable, mais qui l’est vraiment ? Qui a fauté ? On ne peut le savoir que lorsqu’on a discuté avec les deux parties et là encore ce n’est pas si simple. Les choses ne sont pas toutes noires ou toutes blanches, ce sont les nuances de gris qui m’ont parlé lorsque j’ai écrit cet ouvrage.. Presque toutes les séparations sont sombres, il y a des non-dits, des zones d’ombre. Est ce qu’il faut vraiment choisir un camp finalement… C’est le dilemme du héros dans le livre…
Selomcrys : Lorsqu’on te lit, on sent que tu as un amour très important pour ton pays. Que désires-tu pour le Togo, à l’avenir ?
Aphtal Cissé : A mon avis, le togolais gagnerait énormément à être franc envers lui-même et envers les autres, on avancera énormément on ne perdra pas de temps sur plein de choses. Il y a beaucoup trop d’hypocrisies entre nous, on fait semblant d’être solidaire alors que c’est faux… Je le déplore surtout avec cette jeunesse qui est nombriliste. J’ai longtemps souffert de cette hypocrisie. Et tristement, les meilleurs conseils, l’amour, le soutien sont venus de l’extérieur ! C’est une fois validé par l’extérieur, que les gens au pays ont apprécié mes qualités de bloggeur et d’écrivain, c’est la pauvreté mentale et c’est assez triste. Nous méritons mieux.