Dans un peu plus de deux mois, Lyon accueillera les Etats Généraux de l’Education de l’Enfant Afro-descendant (EGEEA) les 15 et 16 juin prochain. L’occasion pour nous de nous poser certaines questions sur cet évènement qui a lancé un appel aux dons (pour en savoir plus, c’est ici!) afin de mieux s’organiser pour vous y recevoir. Celui qui nous répond est Amzat Boukari-Yabara, Béninois d’origine martiniquaise, né à Cotonou il y a un peu plus d’une trentaine d’années. Docteur en histoire et civilisations de l’Afrique, il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages et travaux comme « Africa Unite ! Une histoire du panafricanisme » paru en 2017 ou encore « Walter Rodney, un historien engagé » paru en 2018, et intervenant dans plusieurs structures associatives et culturelles africaines. Amzat Boukari-Yabara est également le secrétaire général de l’organisation nommée la Ligue Panafricaine – UMOJA qui co-organise les EGEEA. Interview.
Selomcrys : Parle-nous un peu de l’association JUMOKE et du webzine Afro Kidz Style qui co-organise les Etats Généraux de l’Education de l’Enfant Afro-descendant (EGEEA)?
Amzat Boukari-Yabara: L’association JUMOKE et le webzine Afro Kidz Style sont des structures fondées en 2017 et en 2015 par Elsa Rakotonindrina, qui est aujourd’hui membre de la Section France de la LP – UMOJA. Elsa est très engagée sur les enjeux concernant l’enfant afro-descendant. Comme elle le dit, JUMOKE développe des projets dédiés aux familles et enfants, dont le webzine AKS, et organise des rencontres entre des intervenants et la communauté familiale afro-construite autour du webzine. La Ligue Panafricaine – UMOJA s’est donc associée à JUMOKE pour organiser les EGEEA.
Selomcrys : Présente-nous la Ligue Panafricaine – UMOJA (lieux, date de création, présidence etc) et quelles sont ses objectifs ?
Amzat Boukari-Yabara: La Ligue Panafricaine – UMOJA a été créée en 2010 et refondée en 2012. C’est une organisation fédérale qui travaille pour le développement du panafricanisme en encourageant la création de sections et de lieux de débats sur tous les territoires continentaux et diasporiques. L’objectif est de rassembler les différents courants pour soutenir des processus politiques afin de reprendre le contrôle de nos territoires et de nos ressources matérielles comme immatérielles. C’est une organisation anti-impérialiste qui noue des liens avec l’ensemble des peuples en lutte en Afrique et dans le reste du monde. Elle est actuellement présidée par Diogène Henda Senny et le siège officiel est au Bénin.
Selomcrys : Pourquoi avez-vous senti le besoin de créer cette Ligue ? De quels constats êtes-vous partis ?
Amzat Boukari-Yabara: Je ne fais pas partie des membres fondateurs. J’ai adhéré en 2013 car en tant que figure de référence du panafricanisme dans le monde intellectuel, la LP-UMOJA m’a tout de suite parue comme étant la meilleure organisation existante, ou en tout cas la plus intéressante à améliorer. A une base, les membres fondateurs ont estimé qu’il fallait tout simplement passer à une autre étape, réinscrire le panafricanisme dans le champ politique et ne pas se contenter de l’aspect culturel, économique, social ou médiatique. Ils sont aussi partis du constat que les panafricanistes sont divisés et qu’il faut les amener à se retrouver autour de lignes idéologiques et de programmes politiques communs. Enfin, la libération de nos territoires ne peut se faire que dans un cadre panafricain, cadre qui a disparu dans la plupart des Etats que nous appelons des enclos berlinois.
Selomcrys : Dans quels pays avez-vous des bureaux hors de France et quels rôles jouent-ils ?
Amzat Boukari-Yabara: Nous sommes présents au Sénégal, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Niger, les deux Congo, Mali, Bénin… chaque section se développe dans le contexte local et échange avec les autres sections pour partager les expériences.
Selomcrys : Pour quelles raisons organisez-vous des Etats Généraux de l’Education de l’Enfant Afro-descendant (EGEEA) les 15 et 16 juin 2019 prochain à Lyon?
Amzat Boukari-Yabara: L’objectif est de faire un état des lieux sur l’ensemble des thématiques liées à l’éducation de l’enfant afro-descendant, dans un contexte marqué ces dernières années par de nombreux scandales autour des enfants noirs. L’éducation est un lieu de renforcement de la négrophobie et cela n’est plus admissible. Nous constatons que, d’un point de vue historique, les enfants afro-descendants ne bénéficient pas toujours de la même bienveillance, de la même protection et du même souci que les autres enfants, notamment en matière d’orientation et d’opportunités. Il est important que les protagonistes se réunissent pour partager les expériences et produire un agenda commun pour répondre aux problèmes identifiés. Le choix de la date fait référence à une date historique, à l’occasion de la Journée internationale de l’enfant africain qui a lieu tous les 16 juin, et en mémoire du massacre des jeunes élèves sud-africains durant les émeutes de Soweto, le 16 juin 1976.
Selomcrys : A qui est ouvert cet événement ?
Amzat Boukari-Yabara: L’événement est ouvert au public dans la limite des places disponibles et sous réserve que chaque personne s’engage à respecter le cadre des travaux et l’esprit des débats.
Selomcrys : Pour les enfants issus des diasporas africaines et caribéennes vivant en France comme pour leurs familles qui les encadrent et les éduquent, s’épanouir dans une société qui les rejette et les discrimine reste un défi permanent. Selon toi, comment peuvent-ils y faire face ?
Amzat Boukari-Yabara: Cela passe par la construction de personnalités fortes, autonomes et structurées, qui ont une conscience de génération, qui voient que leurs parents ont préparé le terrain. Concernant la société, il s’agit de la part de ceux et celles qui sont en capacité de le faire, d’y introduire suffisamment de balises pour que les enfants ne se noient pas. Le travail des parents est donc essentiel pour créer des espaces sécuritaires et sécurisés, sans pour autant étouffer les enfants. Nous sommes en France dans des sociétés fortement individualisées, possessives, alors que nous avons en tant qu’Africains une approche plutôt collective de l’éducation de l’enfant, où chaque adulte de la communauté est supposée pouvoir apporter sa part à n’importe quel enfant. Cela passe aussi par une sécurisation à l’intérieur des espaces afro-descendants qui sont aussi des lieux ayant intériorisé la domination.
Selomcrys : Votre appel à financement participatif prendra fin le dimanche 14 avril prochain, qu’en espères-tu ?
Amzat Boukari-Yabara: Nous espérons le maximum de contributions pour pouvoir financer au mieux les activités qui auront lieu ces deux jours-là. Le montant de cinq mille euros a été évalué, nous espérons en être le plus proche possible. Le lien est ici : https://www.helloasso.com/associations/jumoke/collectes/les-etats-generaux-de-l-education-de-l-enfant-afrodescendant. L’argent collecté servira à louer un espace pouvant accueillir 200 personnes, faire venir des intervenants pour proposer au public des débats de qualité, rémunérer des artistes, financer la communication de l’événement et les contreparties de la cagnotte.
Selomcrys : Que prévoit le programme des EGEEA pour les 15 et 16 juin prochain?
Amzat Boukari-Yabara: Il y aura des ateliers, des débats et des performances sur deux jours. Il y a six thématiques prévues. La première porte sur la négrophobie et les violences institutionnelles dans le parcours de l’enfant et les violences policières, avec notamment les stratégies pour se soustraire d’un déterminisme social. La seconde thématique concerne la protection des corps noirs et les cheveux de nos enfants avec la question de la santé, l’alimentation, des violences sexuelles, micro-agressions et de la fétichisation. La troisième thématique porte sur le fait de devenir soi-même, avec comment accompagner l’enfant en marge d’une afrocentricité essentialisée. La quatrième thématique sur les traditions, l’histoire et le patrimoine culturel, porte autour des enjeux de transmission afro-descendante intergénérationnelle et panafricaniste à travers les questions de voyages, de langues, de culture et de rapatriement. La cinquième thématique est sur le passage de la représentation à l’accomplissement d’une vie avec la question de la libération des imaginaires afro. Enfin, la réflexion sur la parentalité afro-descendante dresse les cadres de la famille, de la paternité et de la maternité, des rôle-modèles, de la pédagogie et de la question des violences éducatives ordinaires (VEO). Concrètement, les Etats Généraux des enfants Afro-descendants prendront la forme de réflexions autour de ces thématiques.
Selomcrys : Tu es historien, quelle sera ton apport personnel dans les EGEEA ?
Amzat Boukari-Yabara: Je m’occupe principalement, avec d’autres membres, de travailler sur le comité scientifique de l’événement puisque nous attendons des contributions et nous devrons organiser et modérer les interventions.
Selomcrys : Tu es également père de famille, en quoi la transmission des valeurs panafricaines est-elle essentielle selon toi ?
Amzat Boukari-Yabara: Avant de pouvoir transmettre des valeurs panafricaines en tant que parent, il faut déjà les connaître et les comprendre. La transmission est un processus permanent, il s’agit d’apprendre à construire aussi dans la durée.
Selomcrys : On dit souvent que l’éducation d’un jeune enfant est l’un des piliers les plus importants sur lequel il basera sa vie future, pour toi avec quelles activités et supports les parents peuvent-ils éduquer leurs enfants à devenir des adultes soucieux de participer à un continent africain meilleur ?
Amzat Boukari-Yabara: La lecture est la plus importante des activités. Lire des livres sur notre histoire, des livres dont les Africains sont les figures principales, valorisées et dans lesquelles les enfants se reconnaissent. Accompagner les enfants aux moments les plus importants de leur croissance, produire des rituels, leur montrer comment prendre soin de leur corps, de leurs cheveux, de leurs frères et sœurs. Pour l’Afrique, c’est leur apprendre par des jeux sur l’histoire et la géographie de l’Afrique, les cultures, aller plus loin que l’Afrique réduite à des animaux sauvages. Ensuite, quand ils grandissent, il s’agit de surveiller le contenu de leur éducation, généralement dévalorisante à l’égard de l’Afrique, et faire du suivi pour que leur image de l’Afrique ne soit jamais dégradée. Les emmener en Afrique est aussi une étape importante pour les parents en mesure de le faire.
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Selomcrys : La Ligue panafricaine UMOJA prône l’idéal panafricain. Peux-tu nous expliquer de quoi s’agit-il précisément ?
Amzat Boukari-Yabara: L’idéal panafricain est une lutte pour la reconnaissance de nous-mêmes à partir de l’établissement de structures, d’institutions et de relations interpersonnelles débarrassées notamment de l’eurocentrisme, du capitalisme, du racisme, du sexisme et surtout des conditions qui ont permis à ces formes de domination de prospérer. Cette lutte qui se mène autant dans la base qu’au sommet, nécessite la restauration de la conscience historique africaine dans la longue durée dans un cadre afro-centré et dans l’espace dans un cadre panafricain. L’idéal panafricain suppose de repenser les institutions en sachant que la conception de la famille est la plus importante d’un point de vue concentrique, transversal et dialectique. La construction d’une Famille Africaine Mondiale demande que nos relations interpersonnelles s’améliorent et relèvent par le même biais nos relations entre groupes sociaux.
Selomcrys : Lors de cet évènement, vous souhaitez aussi supporter les entrepreneurs noirs. En quoi est-ce important pour vous ?
Amzat Boukari-Yabara: Les entrepreneurs noirs sont à encourager car ils sont la base d’une indépendance économique plus large en terme de création d’emplois, de création de richesses et de produits afro-compatibles. Le tissu économique et social afrodescendant doit être renforcé mais il ne faut pas non plus croire que l’entrepreneuriat fera tout. Le soutien que je leur apporte est politique.
Selomcrys : D’autres activités ou conférences sont-elles prévues après cet évènement ?
Amzat Boukari-Yabara: Oui, il y a une longue liste de conférences prévues et une longue liste d’attentes d’événements jusqu’à environ octobre 2020, date à laquelle nous avons programmé un Congrès. En 2019, il y aura la Journée de l’Unité – UMOJA DAY qui se tiendra en deux parties, en mai et en novembre. Il y aura également les Universités annuelles de la Ligue Panafricaine – UMOJA en novembre. Entre temps, chaque semaine il y a des activités un peu partout dans les sections de la LP – UMOJA.