« L’important est de mettre l’Afrique en avant! »
Lodia K est de ses dames de mode qui crée sans même s’en rendre compte, comme d’autres peignent ou chantent. C’est inné. Fondatrice de la marque de vêtements wax Bazara’Pagne (BZ) depuis plus de 5 ans, la jeune créatrice voyage entre Lomé – qui l’a vu naître – et Paris, où elle a sa boutique à Chatelet-les-Halles. La jeune femme vient de sortir sa dernière collection nommée Emefa qui signifie « cœur froid ». Ses collections ? Elle ne les compte plus. L’essentiel pour elle est de se réinventer tout en se faisant plaisir, et donner du beau et de la joie à ses client(e)s, toujours plus nombreux, à entrer dans son univers. Interview.
Pour ceux qui ne la connaisse pas encore, présente-nous ta marque Bazara’Pagne ?
Cette histoire a commencé par un de mes rêves, pouvoir travailler avec les artisans du Togo. Promouvoir le « made in Africa » est important à mes yeux. Ensuite, il s’agit aussi d’une aventure familiale et amicale donc, derrière il y’a beaucoup d’hommes et de femmes qui supervisent tout le travail en amont, qui m’encouragent jusqu’à Paris et sont fiers de leur travail ! Bazara’Pagne c’est donc un pont entre les deux mondes mais aussi un carrefour d’univers différents qui s’entraident.
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Lors du dernier évènement culturel Miss France 2017, tu as eu le privilège d’habiller la personnalité Flora Coquerel, miss France 2014, cela marque le début de la consécration pour toi ?
Avoir de la visibilité avec des célébrités c’est une très bonne chose, c’est vrai, mais ce qu’il y a de mieux c’est lorsque ces célébrités te (re)contactent car ils apprécient sincèrement ton travail. On se dit « ah le travail paye, les gens veulent être ambassadeurs de ce que je fais », c’est une belle récompense ! Pour moi, la consécration viendra avant tout de moi et de mes créations. J’attends aujourd’hui la collection qui me rendra totalement fière de moi, de bout en bout, de Lomé à Paris, et avoir de nombreuses retombées internationales… J’ai déjà vendu mes modèles un peu partout en France, en Suisse, en Belgique, en Europe de l’est, en Russie, en Bolivie etc. Cela me fait plaisir de voir la toile s’étendre, l’important c’est de s’implanter dans le cœur des gens. En cela, les réseaux sociaux m’ont beaucoup aidé à mes débuts, avec les snoods, premiers accessoires estampillés BZ.
Parle-nous un peu de ta relation au pagne ?
Je suis née au sein d’une famille qui commercialise le pagne depuis des générations, ma grand-mère était l’une des célèbres « Nana benz » de Lomé. Par la suite, ma mère en vendait également au grand marché de la capitale. J’ai toujours été fascinée par cet univers et ses femmes fortes qui ont forgé mon caractère. Je ne sais pas si cela va se démoder un jour. Même une fois en France, j’arborais mes tenues en wax partout dès que le temps le permettait même si je faisais tâche et qu’on me trouvait bizarrement habillé, j’étais heureuse d’être moi ! Les pagnes sont passionnants, les motifs sont comme des tableaux qui disent des choses et parlent, ont leur signification, et un imprimé peut t’emmener loin et te faire penser à cela ou cela. J’aime beaucoup le pagne donc contrairement à ce qu’on pourrait croire j’en achète toujours pour moi-même, je me fais toujours des tenues. J’ai aussi des pagnes qui sont tellement beaux et que je chéris mais je n’ai pas suffisamment de mètres pour en faire des tenues pour BazaraPagne… Si je me lasse un jour du wax, j’irai vers d’autres tissus mais l’important pour moi est de mettre l’Afrique en avant.
Tu as justement eu la chance d’avoir pour modèle une femme « Nana Benz », qui était ta grand-mère. Dis-nous en plus sur ta relation avec cette parente ?
A mes débuts, c’est ma grand-mère – que mes frères et sœurs et moi appelions TantiGan – qui choisissait mes pagnes. A l’époque, elle travaillait toujours et aidait ravie de me voir embrasser cette route. Je me rappelle que je choisissais les plus sombres avec mon œil occidental pour ne pas prendre ceux qui étaient trop flashy et colorés, car je pensais qu’ils ne plairaient pas en France ! Mais après, j’ai su lui faire confiance et ces choix ont tous fait un buzz et ont bien marché auprès de ma clientèle. Maintenant, j’ose beaucoup plus les pagnes multicolores et j’aime les pagnes comme Angelina ou Addis Abeba.
Tu as commencé cette belle aventure par des snoods que tu vendais à tes amis. Comment s’est fait le basculement vers la confection d’habits ?
Au départ, j’ai effectivement commencé par les snoods, puis rapidement les T-shirts et les petites jupes sont apparus. Puis, je me suis dit « bon allez, mince, ce que j’aime vraiment, ce sont les vêtements ! ». Ce n’est pas tant le Wax mais avant tout le vêtement que j’aime confectionner. Même si cela peut faire peur de se lancer un peu à l’aveuglette, je suis quelqu’un qui aime prendre des risques. Mon entourage n’a pas été vraiment surpris de cela car j’ai toujours été dans ma bulle et un peu rebelle aussi. Mon contrat avec mes parents, par exemple, c’était juste d’avoir le Bac. Tout les blabla scolaires ne me parlait pas de toutes les façons, l’art plastique est la seule matière qui me boostait à l’école. Je n’aime pas subir les choses, recevoir des ordres, j’aime être autonome et mon propre patron, alors l’école comme l’entreprise ne sont pas des lieux où je m’épanouirai.
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Justement, tu es une jeune entrepreneure, pourtant tu jouis déjà d’une certaine expérience. Si tu avais trois conseils à donner aux jeunes qui veulent faire comme toi, quels conseils donnerais-tu ?
Je leur conseillerai avant tout de rêver, puis de s’organiser et enfin de s’appliquer, être constamment rigoureux. Si cela ne marche pas, soit on passe à autre chose, soit on patiente et on persévère. Moi, à aucun moment je n’ai pensé à faire autre chose. J’ai cela dans le sang ! Aller travailler dans un bureau ou pour quelqu’un d’autre ne me correspond pas du tout, cela tuerai mon esprit libre ; du coup je n’ai fait que m’accrocher et j’avance tous les jours, même si je me remets en question à chaque étape.
Tes tenues sont toutes produites en Afrique, au Togo, à moindre coûts. Or, la plupart sont vendus, en Europe, en France, bien plus chers…
Ce n’est pas du tout le cas, chez BZ, mes produits ne sont pas produits à bas couts, au vu de la main d’ouvre que j’emploie, des finitions, du choix des tissus de qualité etc) et de toutes ces personnes qui travaillent avec moi et qui sont payés à leur juste valeur. J’ai toujours fait du commerce équitable car cela colle avec ma personnalité et mon idée de départ de ponts entre l’Afrique et l’Europe. Malgré cela, j’essaye de ne pas vendre mes produits finis trop chers pour qu’ils restent abordables à tous.
Envisages-tu un jour de revenir vivre sur place définitivement ?
J’adore le Togo, j’aime tout du Togo donc, quand je rentre en France, il me faut souvent trois ou quatre mois d’adaptation avant de me fondre à nouveau dans le bain. Une fois sur Paris, la vie à Lomé me manque, le matin au réveil, toutes ces personnes qui balayent les devantures des maisons, le bruit des moulins qui écrasent le maïs, les zémidjans* qui t’abordent pour une course, les vendeuses ambulantes de haricots, de bouillie… Pourtant, autant j’aime mon pays, autant je vois les avions passés dans le ciel avec la nostalgie de l’Europe… j’ai clairement le cul entre deux chaises. Idéalement, je suis entre les deux, entre ma vie parisienne à pédaler mon vélo chéri – que j’ai nommé « Barbara Komlan » (sourire) – et ma grande famille à Lomé qui m’entoure et me chouchoute lorsque je rentre. C’est la vie que j’ai créé, j’y ai mes coins, mes repères, cela me convient parfaitement.
Ou trouves-tu une telle inspiration pour créer ?
C’est dans ma tête mais sincèrement je ne sais d’où cela sort précisément, c’est ma vie qui m’inspire en fait. J’écris aussi mais je garde cela pour moi. (rire). Si un jour j’arrive à écrire un livre, les gens comprendront… Je cherche à symboliser ça ou ça à travers les vêtements, de matérialiser une période de ma vie avec un vêtement. Je suis une personne assez têtue qui comme tout un chacun a besoin de s’exprimer. C’est un besoin vital.
Que fais-tu lorsque tu n’es pas en train d’imaginer une nouvelle collection ou tenue?
En général, j’écoute de la musique, du métal, de la musique classique, j’écoute de tout, sauf les musiques commerciales actuelles qui ne me parle pas trop. J’aime aussi les vieux morceaux comme Bob Marley ou Tupac Shakur, mon père m’a donné le goût de cela avant de partir. Il adorait la musique, tout comme mon grand-père. Lorsque je ne crée pas, je me repose aussi, je lis, je consacre du temps à mes amis et ma famille, on se retrouve devant un bon plat d’ayimolou (plat togolais fait à base de riz et de haricots) et on profite les uns des autres.
*taxis-motos
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