Son dernier clip: Martyr Luther Queens
Dans le morceau « J’imagine » issu de votre disque « Bilime » qui signifie plusieurs années, sorti en juillet 2016, tu cites nombre d’illustres figures noires, notamment des musiciens comme Césaria Evora, Féla, Makeba, Papa Wemba, Bob Marley, Nina Simone etc pourquoi ces références ? Une volonté de transmettre à la jeune génération ?
Kémit : Aujourd’hui, pour moi, ceux qui passent en boucle à la télévision font de la musique qui n’a pas beaucoup de sens. C’est bien de danser, mais il n’y a rien derrière. J’ai grandi avec Pierre Akendengue [1], Annie-Flore Batchiellilys [2], et le groupe de rap Mauvaise haleine, eux avaient des choses à dire. Après, j’ai écouté du rap français avec Booba, Diams, Sinik. Même Booba que l’on critique fait toujours référence à l’histoire africaine. Quand je pense à des gens comme Lumumba, pour moi ces gens sont immortels, mais ils ne vont continuer à vivre que si on parle d’eux. Philippe Mori, grand cinéaste gabonais sur qui j’ai travaillé, a fait de la politique également. Je l’ai appris par une journaliste qui m’a interviewé et avait préalablement fait des recherches sur le personnage.
Tu es né et vous avez grandi au Gabon et vous faites un clin d’œil à la situation électorale complexe de ton pays, lorsque tu dis « Même si dans mon Gabon natal, on achète encore les consciences avec des sacs de riz électoraux »…
Kémit : J’aime m’appesantir sur le Gabon du fait de son côté particulier, et cela pour plusieurs raisons. Nous n’avons pas une grande superficie, moins de 300 000 m2 pour une population de moins de 2 millions d’habitants. Au Gabon, nous avons beaucoup de ressources : le pétrole, l’or, le fer, le bois, le manganèse, pourtant il y a des familles qui vivent avec moins de 500 FCFA par jour. Je ne comprends pas comment on peut avoir autant de richesses, être si peu nombreux et malgré tout, voir la majorité vivre dans une précarité indescriptible. Il y a plusieurs secteurs de la société gabonaise où ça ne va vraiment pas, notamment dans le secteur de l’éducation, où on retrouve les mêmes revendications que nos pères ont connues. Ce sont des choses qui me font mal. Pour la situation politique, c’est pareil. Il y a eu une cacophonie sans nom sur qui a gagné ou non, tandis que des gens mourraient. Ce qui m’afflige le plus, c’est de savoir que les gens savent que tout cela n’est pas normal, mais regardent ailleurs.
Tu es un fervent panafricaniste et participez à de nombreuses activités en ce sens. En quoi cette thématique te touche-t-elle tout particulièrement ?
Kémit : On se parle dans une langue qui n’est pas la nôtre même si elle est utile pour qu’on puisse se comprendre. Cette thématique nous appartient. Le panafricanisme me rappelle tout simplement qui je suis. C’est mon bagage. La seule chose que tu as de fusionnelle, c’est toi, ton histoire, tes racines… Toutes ces choses joyeuses et douloureuses participent à faire de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Cette démarche n’est pas dans un enfermement, mais une ouverture. Savoir d’où je viens pour savoir où je vais. J’ai un prénom français, j’ai besoin de savoir qui je suis et de le faire savoir. Lorsqu’on voyage, la chose qui nous unit, ce sont nos cultures et leurs similitudes.
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« L’avenir réserve des surprises à ceux qui ont volé le sourire de nos enfants ; nous sommes prêts à tout sauf vous laisser marcher sur notre dignité ; Les paroles de votre morceau « Quand tout ira mieux » sont assez fortes et combatives. Pourquoi ce parti-pris ?
Kémit : Collaborer avec Naneth, artiste gabonaise qui chante depuis longtemps, c’était un rêve et quelque chose de très fort pour moi. Nos idées se rejoignent et c’est une dame qui a connu des choses assez difficiles. Elle m’a dit « tu sais Kémit, on nous a déjà appris à supporter la faim », tout ça pour me dire qu’elle ne va pas changer son discours parce qu’il faut manger. Et au-delà de cette artiste, j’y parle du Gabon et des scènes de violence dans la tête de nos enfants. Scènes qu’ils n’oublieront jamais. Mais c’est un texte qui peut parler à plusieurs peuples : aux opprimés, à ceux épris de liberté… C’est une onde d’espoir nécessaire que je leur adresse pour leur dire qu’il ne faut pas abandonner. Prenez le Rwanda, c’est un peuple qui s’est relevé de ses blessures. Les choses ne sont pas belles d’un seul coup. Mandela a fait 27 années de prison, c’est énorme. Il faut lutter longuement, sans jamais baisser les bras.
Tu prônes aussi l’unité dans cette chanson, outil indispensable, selon toi, pour la réussite de la matérialisation des Etats-Unis d’Afrique ?
Kémit : Oui ! Il y a un penseur africain qui disait de l’Afrique « qu’elle n’est pas démunie mais juste désunie ». L’unité c’est la base de tout. Comment un peuple se bat, se libère. Si le Togo par exemple a pu faire du bruit dans le monde, c’est parce que beaucoup de gens ont dit « non ». En Afrique, chacun veut être le roi chez lui. Pour changer de monnaie il faut d’abord être uni. C’est pourquoi, je ne suis pas contre cette lutte contre le franc CFA, mais j’estime qu’en chemin, il y a des choses à régler.
[1] Pierre Akendengué, né le 25 avril 1943 à Awuta (Gabon), est un chanteur, musicien et poète gabonais. Il fut aussi ministre de la Culture du Gabon
[2] Annie-Flore Batchiellilys, née en 1967 à Tchibanga, est une chanteuse, musicienne, compositrice gabonaise, de langue maternelle punu, alliant les formes traditionnelles de chant au jazz et au blues
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