Solim raconte: « Il y a quelques années, j’ai renoué avec beaucoup de choses de mon passé : mon pays, mon enfance, mon père… Je suis à la recherche de qui je suis, alors toutes les bonnes anecdotes sont bonnes à prendre. Et chez moi on dit, « si tu ne sais où tu vas, sache au moins d’où tu viens.. » J’aime me rendre au village pour voir ma famille et plus particulièrement mon père, notamment parce qu’il ne m’a pas élevé. Nous avons du temps à rattraper, c’est sûr. J’avais 9 ans lorsque j’ai quitté le Togo pour être adopté. Ma mère n’était plus et mon père voulait ce qu’il y avait de mieux pour moi.
Lors de mon dernier passage chez lui, il m’a racontée l’histoire de ma naissance. Il a tenu à me rappeler combien il m’aimait et combien j’avais été désiré par ma mère et lui. Sans doute une façon pour lui de se « racheter » et de me faire comprendre qu’il regrette de m’avoir confié à ce couple de jeunes blancs désireux d’adopter, il y a de cela 20 ans maintenant. (Dieu merci, mes nouveaux parents ont toujours tenu à garder contact avec papa afin que je puisse le recontacter et le revoir lorsque j’en ressentirai le désir.) Il voulait alors que j’ai une meilleure vie, et à l’époque, tous étaient persuadés qu’elle résidait dans le faite d’avoir la chance de poursuivre cette dernière en Europe. Ce fut alors la Belgique pour moi, durant de très longues années, entourée de personnes qui faisaient de leurs mieux pour me comprendre et m’aimer. Mais tout me rattachait à mon Afrique, et cela me manquait. Pour mes tuteurs, j’étais loin de l’Afrique, ce continent « maudit » (je ne suis pas d’accord avec cette vision pessimiste)… je ne pouvais que réussir et m’épanouir! Je comprends aujourd’hui qu’il me manquait l’essentiel pour cela: l’ancrage. C’est pourquoi j’ai absolument tenu à revenir vivre ici.
Bref, il m’a expliqué et raconté un détail fascinant de notre culture que je méconnaissais: l’enterrement du placenta et la sortie du 8e jour de ma naissance que l’on fait à tous les nouveau-nés de la localité (et à beaucoup d’autres, dans la sous-région). Mon père est quelqu’un de très spirituel, il n’a jamais cru en la « religion du blanc », comme il l’appelle. Il a toujours tenu à rester proche de ses racines. C’est une vraie source d’inspiration pour moi.
Traditionnellement, ces cérémonies revêtent une grande importance. Pour le placenta, il représente une partie du corps humain de l’enfant, on ne peut pas le jeter à la poubelle donc, par respect, on l’enterre. Papa m’a expliqué que la vie n’est jamais terminée et qu’à chaque fin de vie, une nouvelle vie arrive ; on enterre donc l’ancienne. Le placenta représente la vie intra utérine qui meurt avec la naissance du bébé. C’est ainsi qu’après la mort de notre vie sur terre, on enterre aussi le corps. Symboliquement. La sortie du nouveau-né au 8e jour évoque les grâces sur la vie de l’enfant et sert à le confier aux ancêtres pour sa protection. Il s’agit aussi de présenter le nouveau venu à la famille.
Pour cela, tout un rituel est mis en place. « Tu y as eu droit aussi », m’a t’il raconté. L’eau, préparée avec des plantes telles que « aflatovi » et « kpatima » symbole d’abondance et de reproduction, est une bénédiction divine plus grande que la pluie, pour purifier l’enfant. Avant le rite de sortie, on procède à une libation pour invoquer la bienveillance des ancêtres. Celui qui est choisi pour faire sortir l’enfant doit être natif du même jour que lui et de bonne moralité. Ce fut pour moi le petit frère de mon père, Atavi M. Après toutes les conditions requises, Atavi m’a fait faire 6 fois des allers et retours entre l’extérieur de la maison et la chambre, où on m’avait pomponné pour l’occasion.
La septième fois, penché en avant, je reçus sur moi l’eau qui avait préalablement coulé du toit de la maison. « Normalement, le nouveau-né crie comme au premier jour de sa naissance, mais toi tu n’as pas crié tout de suite tu étais très calme. Atavi a dû te verser encore un peu d’eau sur la tête pour te faire finalement réagir et pleurer », m’a expliqué mon père. Symboliquement, l’enfant est alors purifié, se réveille ainsi à la lumière du jour, aux forces et aux lois de la nature. A partir de ce moment-là, il ne porte plus les souillures de ses parents ou de ses ancêtres. S’en suit généralement une petite fête au cours de laquelle parents et amis sont conviés. On prépare aussi différents mets qu’on donne d’abord aux ancêtres. Spirituellement, cette cérémonie signifie aussi qu’on montre le nouveau-né à la nature et aux ancêtres de la famille. Ce sont ces derniers qui le purifient et lui confèrent la force nécessaire de bien accomplir la mission pour laquelle il est envoyé sur terre. Je ferai surement de même avec mes enfants, lorsqu’ils naîtront car je trouve nos traditions très fortes et importantes. »