Cet amoureux fou de son pays le Togo vient de fêter les un an de son premier album « 13 Janvier ». Fier de son parcours personnel et artistique, Fofo Skarfo est là où on ne l’aurait pas attendu mais il n’a pas usurpé sa place. Avec ce 1er album qui a conquis le public, le rappeur de 37 ans s’est autorisé à sortir des sentiers battus: comme chanter et inviter le grand nom de la scène artistique togolaise King MENSAH. Bref, Mawussé Kokou Solly (de son vrai nom) s’est fait plaisir. Pour notre site, il a accepté de revenir sur cette musique mélodieuse et particulière dans son milieu et qui le caractérise, et sur les moments de sa vie qui l’ont transformé. Zoom.
Selomcrys : Peux-tu nous parler de l’un de tes morceaux phares sur ton album « 13 Janvier », j’ai nommé « Petit Pays » ?
Fofo Skarfo : « Petit pays »… ça trainait dans mon être comme « ligne de nos vies » je voulais consacrer un morceau à mon pays le Togo. Je n’avais jamais fait un morceau acoustique. L’album était déjà fini mais j’ai insisté pour retourner en studio inspiré par le célèbre morceau de Evora « petit pays ». J’avais le refrain en tête, le lendemain Thomas Agbosso m’a accompagné à la guitare. Le soir, le texte est arrivé. J’écris toujours le texte après la mélodie. J’y ai dit ce que j’avais dans mes tripes sur mon pays, il était important pour moi de le faire…
Selomcrys : Tu chantes « Nobody » en featuring avec King Mensah, raconte-nous ce duo et pourquoi avoir écrit ce morceau-là?
Fofo Skarfo : Je connais King Mensah depuis de nombreuses années, il est comme un membre de ma famille. Et pour ce qui est de la thématique, oui, il y a du moi et du vécu. J’ai vécu en Chine durant plusieurs années pour mes études et je peux vous dire qu’on nous jugeait beaucoup car nous étions différents et étrangers. Et c’est aussi le cas dans nos sociétés africaines d’ailleurs ! Le message que je voulais véhiculer c’était « ne laisse personne te dire que tu n’es personne, ne doute pas et donne toi les moyens de parvenir à tes rêves ! ».
Selomcrys : Tu chantes la positivité avec des paroles comme « le monde est en toi, faut libérer tes capacités » « tu es unique, original, y’a pas deux comme toi » « ton 1er ennemi est dans le miroir » Qu’elle est ton secret pour toujours regorger d’optimisme ?
Fofo Skarfo : L’amour avec un grand A, pas que dans le sens de couple, l’amour dans ce qu’on fait pour bien le faire. Si tu n’as pas d’amour tu n’auras pas la force d’avancer ! L’amour que je donne et qu’on me donne aussi est immense… Je n’ai jamais vu de combat gagné avec la colère, on le gagne avec le sourire. Pour moi l’amour c’est tout. En plus, je suis quelqu’un qui aime rester toujours positif et confiant c’est ma façon de voir les choses. Il y’a toujours beaucoup de paramètres qui influent mais nous faisons partie de ces paramètres. A certains moments, il ne faut pas non plus avoir trop d’excès de confiance car cela amène à la radicalisation or il est important d’avoir toujours le recul nécessaire pour s’autocritiquer au besoin. Il faut trouver le juste milieu.
Selomcrys : Tu parles beaucoup d’amour dans tes chansons… Fofo Skarfo est-il un cœur qui aime ?
Fofo Skarfo : Aujourd’hui, il n’a plus ce poids là je trouve car il est devenu l’objet de la musique « fast food » et c’est dommage, ça n’a pas vraiment de fond, c’est le truc easy, quand on n’a rien à dire on parle d’amour dans les chansons. Mais, oui, moi j’aime profondèment, j’ai beaucoup d’amour en moi, pour ma famille, pour mon peuple, pour ce que je fais, l’amour est au centre de tout ce que j’entreprends.
Selomcrys : Nous voulons te connaitre davantage. Où as-tu grandi Skarfo ?
Fofo Skarfo : J’ai grandi à Lomé Ahligo, proche d’Agbloganmé. J’ai été un enfant timide et très curieux qui posait mille questions. Une fois au catéchisme, je me rappelle avoir posé une question gênante, on a appelé ma maman pour lui dire que si je voulais avoir ma première communion, il fallait que j’arrête de poser des questions et que je rentre dans le moule. Cet épisode de ma vie m’a marqué car ma mère m’en a fait le reproche alors que je cherchais à mieux comprendre et non à défier l’autorité des adultes.
Selomcrys : Selon toi, l’enfant que tu as été serait-il fier ou déçu de l’adulte que tu es aujourd’hui ?
Fofo Skarfo : Je crois que oui il serait fier, même si l’enfant ne s’attendait pas forcément à cet adulte, ne me verrait pas faire des locks, faire du rap, avoir des piercings etc. Qu’est ce qui s’est passé entre ces deux « moi » ? Je dirai, le plus gros choc de ma vie. (Soupir) Après mon bac, j’ai perdu très subitement mon petit frère et ma mère, tous deux décédés dans un accident de voiture. Je n’avais que 18 ans à l’époque, ils sont morts sur le coup sans qu’on n’y puisse rien et je n’ai pas compris… La douleur fut immense. Mon petit frère je l’appelais mon fils, nous avions huit ans d’écart et je l’aimais beaucoup… Maman…(silence) avait une telle chaleur humaine, elle m’aimait énormément, c’est quand on est devenu plus proche et amis qu’elle est partie. Mon père est décédé six ans plus tard, j’avais 24 ans. Je n’avais plus de mentor. J’ai alors eu besoin de m’exprimer, de parler de la société, des gens, de l’Afrique. Je voulais ressortir tout cela en un peu plus grand…
Selomcrys : D’où ce vibrant hommage à tes parents sur ton album ?
Fofo Skarfo : C’était une évidence, parce que (sourire) j’ai grandi prêt d’une église catholique où on allait tout le temps et où y était inscrit la phrase : « God first » mais pour moi cela a toujours été « mes parents first » car j’ai grandi entouré d’amour. Je me rappelle une fois adolescent d’un camarade qui m’avait posé la question, entre Jésus et ton père tu choisis qui et j’avais répondu mon père. Je ne l’ai pas bien compris avant son départ, on ne s’entendait pas beaucoup. Nous avions pas mal de clashs générationnels sur la manière de faire les choses, il était rigoureux et je ne voulais pas me soumettre à son autorité. Mais j’ai beaucoup appris de lui, il n’a jamais baissé les bras c’est mon superman à moi ! Dieu sur terre, c’est eux.
Selomcrys : Tu as vécu en Chine durant plusieurs années pour tes études. Que retires-tu de ce voyage ?
Fofo Skarfo : Là-bas, il y avait beaucoup de racisme car nous les noirs n’étions pas nombreux et étions clairement différents. J’avais un petit bagage de connaissance africaine que je mettais en avant si bien que je ne subissais les moqueries et la discrimination de la même façon car j’étais moi fier de qui j’étais. Cela m’a aidé ! Je le dois à mon père. Bizarrement, il a passé quinze ans en France et en parlait tout le temps, mais malgré tout il a fortement gardé ses racines et chaque deux semaines nous étions au village en famille. On y découvrait les plats, on chassait les souris, on était proche de la nature, avec mes frères et sœurs, on a beaucoup appris au village. Mon père me répétait toujours : « achète même plus cher mais dépense ton argent chez ton frère africain», pour mettre en avant la solidarité africaine, cela m’est resté.
Selomcrys : Dans l’un de tes morceaux, tu racontes qu’enfant on te reprochait de poser trop de questions comme ceci : « Petit, tu poses trop de questions, alors je me suis tu alors j’écris des chansons ». La musique te sert-elle à questionner la société d’une autre façon comme lorsque tu étais enfant ?
Fofo Skarfo : Oui enfant, d’une certaine façon on a voulu me faire taire, me faire comprendre que je posais trop de questions etc. mais oui l’artiste aujourd’hui continue a trop en poser, à questionner ses semblables et la société. Je le mets simplement en chanson pas forcément avec l’œil du petit que j’étais enfant. Je pense que toute ma vie je vais continuer à poser des questions, peut-être ailleurs et sous d’autres formes aussi. A force d’en poser, j’arrive à obtenir quelques réponses mais aujourd’hui je me refuse d’être dans l’absolu, avec le temps je questionne aussi mes réponses. Car, en réalité, une réponse peut me satisfaire aujourd’hui mais cela peut évoluer et je peux la trouver bancale le lendemain. L’essentiel pour moi c’est d’être vrai, être en harmonie avec moi-même, je me donne le droit de me dire « tu as eu tort »
Selomcrys : Quand est ce que le rap est intervenu dans ta vie ?
Fofo Skarfo : Plus jeune, j’écrivais en décrivant ce que je vivais et voyais dans mon quartier, influencé par Eric Mc. Les jeunes du quartier me demandaient de leur écrire des choses qu’eux rappaient. J’allais voir ce qui se passait quand mes amis posaient mes textes. A l’époque, c’était en plein air avec un instrumental et tout le monde autour. C’est comme ça que j’ai essayé moi-même, par défi. C’était en 2001. Durant la même période, je rencontre le réalisateur Steven Af. Ensemble, on a proposé un film au centre regard d’Afrique qui s’appelait « remue-ménage » et qui est passé à la TVT. J’étais acteur aussi et je montais des films. J’ai beaucoup appris et rencontré pas mal de rappeurs en montant leurs clips comme par exemple pour le 1er clip de Weddy, Eric Mc, Ally Jezz, King Mensah etc
En 2008, après avoir travaillé dans une boite de production, j’ouvre ma propre boite « lékip ». En parallèle je continuais la musique avec mon groupe nommé La Source. Tous les sons du groupe c’est moi qui les faisais.. avec un pentium 2 et un micro de jeu vidéo (sourire). C’était du bricolage au départ, et avec mes amis Hervé dit Hervinox et Siak no face, on rappait dans une vieille cuisine. Dès 2006-2007, je voulais me lancer en solo mais à l’époque le rap fonctionnait davantage en meute, en groupe. Nous avons progressé et fait beaucoup de scène ensemble. Notre album « le combat », sorti en 2010, était l’aboutissement de ce que nous étions. Nous voulions représenter un rap engagé que l’on voyait peu à l’époque. Nous avons aussi fait un grand concert en 2011 à Lomé, au stade Omnisport, couvert par la TVT, avec le groupe avant sa dissolution. Suite à cela, je suis parti pour la Chine.
Selomcrys : Tu es rentré de la Chine il y a deux ans, c’est bien cela ?
Fofo Skarfo : Oui, avant de rentrer j’ai vécu dans les plus froides régions du pays, frontalières à la Russie en Mongolie intérieure, dans la ville de Hohhot. Une bière gelait dehors à moins 32 degré. Mon groupe « La Source » m’a précédé là-bas et m’a beaucoup porté et facilité les échanges en Mongolie intérieure car la plupart des togolais sur place écoutaient nos sons.. J’ai fait presque 6 ans là-bas avant de rentrer.
Ce fut une expérience qui a changé ma vie car ce fut extrêmement difficile ! Au moins je parle maintenant chinois et j’ai appris tellement de choses sur le dépassement de soi. Je voulais apporter quelque chose à mon Afrique. Alors je suis rentré et je suis devenu papa en juin 2017. J’ai tenu à être là pour elle, puis pour eux ; depuis que je les ai dans ma vie, je ne veux plus repartir pour une longue durée.
Selomcrys : Il y a un peu plus d’un an, tu as sorti ton tout 1er album solo. C’est un rêve qui prend vie ?
Fofo Skarfo : C’est un défi que j’ai relevé donc je suis fier de moi, parce que je l’entamais dans la trentaine après 4 ans total d’absence, je n’avais pas de clip, rien, les gens ne t’attendaient certainement pas là-bas… personne ne m’attendait en solo, en fait. La musique en général avait changé, je me suis posé beaucoup de questions, comment se réadapter et apporter le message et en plus j’ai rappé en langue mina dans laquelle je n’avais jamais composé. Le 2e défi : chanter ; un nouveau défi car je le sentais venir donc j’ai voulu l’exprimer je me suis dit fais toi plaisir et dépasse tes limites. Je suis quelqu’un qui s’ennuie assez vite. L’album est assez éclectique, avec de l’acoustique etc. j’ai pris des risques sur chaque morceau !
Par exemple, la partie sur laquelle King intervenait j’avais rappé là-bas à la base, mais je me suis dit : demande au grand frère. J’ai contacté son équipe et je suis allé le voir au Bénin. J’avais préparé d’autres morceaux pour lui au cas où il ne voudrait pas du morceau choisi mais il a écouté et a kiffé. King et moi on partage beaucoup sur l’Afrique, c’est vraiment un frère pour moi, et cela va au-delà de la musique. Pour poser sa partie, il est arrivé au studio un jour de pluie, et en deux prises c’était bon. Malgré le fait que je le connaisse bien, j’en ai eu la chair de poule… Il est également venu chanter avec moi lors de mon concert.
Selomcrys : Justement, parle-nous un peu du concert du 13 avril 2019, à l’Institut Français du Togo?
Fofo Skarfo : Je me suis fait plaisir avec du live lors du concert. C’est l’une des plus belles choses qui me soient arrivées en 2019. Depuis « La source » en 2011, je n’avais plus fait de scène. J’ai bossé sur le décor, mes tenues, l’esprit d’un concert. Je me suis fait plaisir avec de la musique traditionnelle car j’en écoute beaucoup à la maison. On avait prévu des chaises mais au bout d’un moment, tout le monde était debout. J’ai aussi eu l’honneur de recevoir sur scène avec moi King Mensah, Santrinos, Efy, Horus, Kanaa etc. Le live, c’était un rêve : la plus grande réussite c’est d’avoir fait entrer les musiciens dans l’album, on s’est amusé et on a créé une vraie famille avec le groupe Ayavi.
Selomcrys : Il y a une phrase qui m’a marquée dans l’une des chansons de ton album, « L’espoir fait vivre,mais on ne peut pas vivre d’espoir sinon au Togo, on serait immortel »…
Fofo Skarfo : Je ne connais pas tous les peuples du monde mais ici au Togo, on est très résiliant, on est bercé d’espoir mais c’est trop car nous en devenons trop passifs et naïfs, on en a un peu trop à mon avis… Si c’était seulement cet espoir-là, cela irait, mais moi j’ai envie de réveiller mon peuple via ma musique. Je m’inspire de ce que je vis et vois tous les jours. Lorsque je n’aurai plus rien à dire, je vais arrêter… En attendant j’ai mille nouveaux albums en préparation dans ma tête !