A bientôt 29 ans, Gretta Lawson-Gallus est une jeune fonceuse qui ne cesse d’entreprendre. Que ce soit dans le textile, l’immobilier ou la restauration, elle n’a pas froid aux yeux. Après des études à l’étranger, elle fait le choix de rentrer s’installer au Togo pour apporter sa pierre à l’édifice et travailler en tant que salariée dans les domaines du textile et de la restauration. De plus, en dépoussièrant le domaine de la mode avec le wax pour « Bazara’Pagne » ou encore en proposant des sandwichs kebab ou des glaces roulées avec « 228 Kebab » et « CrazyCream » ici à Lomé, Gretta a su s’imposer dans l’univers fermé des entreprises togolaises sur lesquelles il faut compter! Récemment, elle a aussi lancé avec des amis « Antovi Cantine » (clin d’oeil humoristique au petit singe malicieux et audacieux, en mina), un restaurant aux bonnes saveurs du terroir togolais. Personnellement grande fan de son travail acharné et de sa persévérance, j’ai aujourd’hui grand plaisir à vous la faire découvrir. Rencontre.
Selomcrys : Tu as grandi dans l’univers des femmes fortes revendeuses de wax, est ce qu’entreprendre a toujours été une évidence pour toi ?
Gretta Lawson-Gallus : Oui cet univers m’a toujours attiré de façon générale, puis avec le temps, j’ai été tenté par des secteurs spécifiques. J’aime le sentiment d’avoir une idée et de pouvoir en faire ce que l’on veut. Il faut savoir que j’ai grandi dans une famille de femmes fortes revendeuses de wax qui travaillaient beaucoup et n’avaient pas de vacances, mais ne manquaient de rien. Je n’ai donc jamais associé l’entreprenariat à l’insécurité financière. Quand je me suis lancée, je voulais avant tout faire quelque chose qui m’encourage à créer et réaliser mes idées.
Selomcrys : Parle-nous de ton départ en France ?
Gretta Lawson-Gallus : J’ai eu une enfance « cage dorée » comme on dit, l’une des meilleures choses qui me soit arrivée fut de partir en France, loin de ma famille directe. Ma mère a décidé pour des raisons personnelles de m’envoyer vivre chez ma tante, j’avais alors 11, 12 ans. L’éducation et la formation scolaire préalable reçues au Togo m’ont permis de rester concentrée sur mes études, j’avais de bonnes notes, car je savais que j’étais là pour un but précis : réussir. Le clash scolaire s’est produit en classe de 1ere lorsque nous avons démarré la philosophie. Le système éducatif togolais ne m’avait pas appris à nuancer, je savais bûcher par cœur mes leçons pour les ressortir telle quelle. Cela a été dur mais je me suis ressaisie et mon amie Ayette qui faisait une série littéraire m’a beaucoup aidée et soutenue, en m’expliquant les bases de cette matière à part. Une histoire d’amitié là aussi (sourire).
Par la suite, j’ai eu mon bac avec mention, j’ai déménagé de chez ma tante pour être plus indépendante à partir de 16 ans, je voulais avoir plus de liberté. C’est à peu près à cette époque que je suis tombée dans l’aventure Bazara’Pagne. Ma cousine Lodia dessinait déjà depuis longtemps et je suis venue l’aider en m’occupant de la partie gestion et administration. Nous avons commencé avec quelques snoods pour des amis, un hiver. Cela a beaucoup plu à Paris, les passants arrêtaient nos amis dans la rue pour leur demander la provenance de cet accessoire en wax. Nous avons donc été obligé de re-stocker à plusieurs reprises, en trois mois. L’aventure était lancée. Depuis, nous avons eu de belles réalisations comme la participation de la marque à l’évènement « AFRICA NOW» de la Galerie Lafayette, les participations à l’émission de télé « Les reines du Shooping » et bien sûr une de nos combinaisons portée par la chanteuse américaine Alicia Keys. Nous sommes très fières de ce que nous avons accompli et ce n’est pas fini.
Selomcrys : Après des études en France et en Suède, tu as décidé de rentrer t’établir au Togo. Pourquoi ce choix que certains qualifierait d’assez risqué, notamment lorsqu’on souhaite être entrepreneur comme c’est ton cas ?
Gretta Lawson-Gallus : Comme pour beaucoup de parents, les miens voulaient que je reste en France, mais moi je voulais revenir au pays. Tout me manquait, mais surtout ma famille. J’ai commencé à travailler à Paris, mais lorsque j’ai décroché une opportunité de travail à Lomé, j’ai sauté le pas. Je ne voulais pas rester en France avec toutes les implications, alors que des opportunités existent chez moi et ne demandent qu’à être exploitées. Entre 2011 et 2015, l’entreprise de vêtements Bazara’pagne nous obligeait à rentrer très souvent à Lomé, car tous les vêtements sont confectionnés par des artisans Togolais. Le Made in Togo de BazaraPagne est aujourd’hui un label de qualité reconnu à l’international… Je n’étais donc pas dépaysé en revenant m’installer au Togo.
Selomcrys : Raconte-nous comment t’es venue l’idée de lancer une entreprise de crème glacée roulée à Lomé ?
Gretta Lawson-Gallus : En août 2016 j’étais en vacances à Denver, aux États-Unis, avec des amis et nous sommes tombés sur ce concept novateur et original, encore très peu répandue à l’époque. Je me rappelle que c’est mon amie Maéva qui insistait pour prendre une glace roulée. Le concept m’a plu et je me suis dit « je veux installer ça à Lomé ! » J’ai contacté Serge un ami qui est spécialisé dans l’export-import pour qu’il me trouve la machine, ce qu’il a pu faire avec une efficacité remarquable. Une fois la machine arrivée à Lomé, la balle était dans mon camp. D’octobre 2016 à mars 2017, je me suis entrainée sans relâche pour apprendre à faire des roulées de glace, avec Youtube. Ce n’est pas si évident, il faut avoir le coup de main. Je me souviens que c’est mon ami Julio qui a réussi le premier à faire les premières glaces avec la machine. Au fond, toutes mes histoires d’entreprises sont des histoires d’amitié.
Selomcrys : Tu as également lancé une boutique Crazy Cream à Niamey sous forme de franchise, comment se déroule cette nouvelle aventure ?
Gretta Lawson-Gallus : Le lancement était prévu pour ce début d’année mais la pandémie du covid19 nous oblige à revoir le planning. Le Niger est un pays enclavé, donc le challenge est de proposer des glaces agrémentées de produits locaux. Le modèle de la franchise pour internationaliser le concept m’intéresse beaucoup plus que celui de créer plusieurs boutiques Crazy Cream dans différents quartiers de la ville de Lomé. Céder une franchise avec une entité qui respectera les procédés, les recettes et la chaine de froid est plus intéressant pour moi, en termes de gestion.
Selomcrys : Tu es à la tête, tu codiriges ou tu apportes ton savoir-faire à plusieurs entreprises à Lomé, « Crazy Cream » c’est ton bébé, « 228 Kebab » son petit frère, « Antoni Cantine » c’est encore toi (avec des collaborateurs), « Bazara’Pagne » et « Le Patio » (restaurant et spa) tu y apportes ta touche et ta collaboration). Tu as sept vies comme les chats ou alors comment arrives-tu à gérer tes nombreuses responsabilités, on aimerait savoir?
Gretta Lawson-Gallus : J’ai un rapport différent avec chacune d’elle. Je vis et j’apprends tout le temps avec mes différentes casquettes et je ne m’ennuie jamais ; ça me passionne, car ce sont des univers très différents. Mais le côté technique de la gestion d’une affaire reste souvent le même. Les premières années, j’ai fait tellement d’erreurs, mais Google est mon meilleur ami. Je pars du principe qu’il faut toujours chercher à connaitre, à se dépasser pour trouver des solutions et c’est comme ça aussi que je me suis formée, au-delà de mes diplômes qui m’ont préparés à gérer des entreprises. J’ai obtenu une licence en économie et gestion dans une école de commerce, puis un master en Stratégies et Management des Organisation Internationales. J’ai choisi un programme très ouvert car je pouvais toucher à tout. Mais au-delà des études, être entrepreneur c’est accepter d’apprendre tous les jours.
Selomcrys : A Lomé où tu es née, quelle est la plus grande difficulté que tu rencontres dans le milieu entrepreunarial ?
Gretta Lawson-Gallus : Je dirais l’absence de pouvoir d’achat au sein de la population en général. Ouvrir un business, d’accord, mais le faire évoluer et le rendre pérenne sont difficiles. Pour pallier à cela, j’ai plusieurs entreprises, je mets mes œufs dans plusieurs paniers différents afin de me diversifier et cela me permets de toucher à beaucoup de domaines différents. Avec la pandémie, j’ai été ébranlé comme de nombreuses entreprises à Lomé je suppose. C’est cette diversification qui m’a permis de m’accrocher.
Selomcrys : Qu’as-tu appris lors de cette pandémie en tant qu’entrepreneur justement ?
Gretta Lawson-Gallus : Avec cette pandémie, je me suis simplement rappelée que « l’homme propose mais que Dieu dispose ». J’ai reçu une grosse leçon d’humilité, car tout était en stand-by (nous reprenons doucement nos activités), tout le monde est touché mais ce n’est pas la fin du monde. C’est aussi une leçon pour moi à titre privée car je suis très active. Ce fut un challenge intéressant.
J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir et à jongler car je n’ai pas eu de revenus pendant trois mois mais nous avons des salariés qui dépendent de leurs revenus mensuels, par exemple. Ce fut une période très difficile et même si nous avons pu trouver des solutions, j’ai hâte que cela soit derrière nous.
Selomcrys : Dans un pays où bon nombre d’entrepreneurs se plaignent de la moralité, de l’assiduité et du professionnalisme de leurs équipes, tu sembles être arrivée à dépasser cette difficulté. Comment ?
Gretta Lawson-Gallus : Dépasser, je ne sais pas. Ce qui est certain c’est qu’il a fallu trouver un juste milieu entre la carotte et le bâton. Je délègue beaucoup, je fais beaucoup de réunions, je forme aussi beaucoup pour responsabiliser les employés, je mets en place de bons procédés. J’essaie aussi de comprendre chaque profil d’employés en apportant de l’humain dans le travail, les sanctions ne servent à rien si nous ne comprenons pas pourquoi tel ou tel membre de l’équipe agit comme il le fait. Les sanctions existent mais elles doivent être adaptées. Par exemple, à Crazy Cream, mon équipe a compris que cette entreprise c’est aussi la leur, donc ils en prennent soin. En tant que revendeuse de wax, ma mère avait une approche très maternalisé dans sa façon de traiter les membres de son équipe, et j’ai grandi avec cela. Mais c’était une autre époque et il n’existait pas de couverture sociale ou autre. Je fais un peu différemment en privilégiant la responsabilité et la communication. Je suis très fière de mes équipes.
Selomcrys : En dehors de tout ce que tu fais déjà, te verrais tu dans un autre univers ?
Gretta Lawson-Gallus : Je me vois bien dans la production audiovisuelle (rires), j’aime décortiquer les techniques utilisées dans mes films et séries préférés. J’aime créer et je me nourris beaucoup de mes amis créatifs et de leur manière de voir le monde, cela m’inspire. Ils vivent avec une certaine liberté qui les emmène à se dépasser dans leurs créations sans trop se demander si cela va plaire ou non. Moi j’évolue dans des domaines techniques où je dois tout penser, calculer alors que parfois j’aimerais juste me laisser aller. Mon éducation et ma formation ne m’y encouragent pas assez malheureusement, mais à force de les côtoyer mon esprit se libère davantage.
Selomcrys : Tu es assez jeune et pourtant déjà assez professionnellement accomplie, es-tu consciente d’être un modèle pour la jeune génération togolaise ?
Gretta Lawson-Gallus : Pas vraiment (rires), j’en ai pris conscience lors du dernier évènement TeD Ex à Lomé, qui est une grande conférence où l’on invite des personnalités de divers univers à venir parler de leurs expériences. J’ai été invité à me plier à cet exercice. Là-bas, beaucoup de personnes m’ont approché pour me dire qu’ils me suivaient et qu’ils étaient inspirés par mon parcours. Ce fut un moment très touchant pour moi car ma famille était réunie autour de moi pour me soutenir et me féliciter. Je fais aussi du mentoring depuis peu, avec des conseils, des idées de lecture, un peu de mon temps pour discuter etc. L’expérience est très enrichissante. J’ai aussi commencé du consulting pour plusieurs restaurants de la place. Cela m’apprend à avoir beaucoup plus de méthodes, de documentation et à mieux élaborer mes procédés
Selomcrys : Quels conseils donnerais-tu aux jeunes gens qui souhaiteraient embrasser le même chemin que le tien ?
Persévère! Rien n’est acquis. Personnellement, je continue toujours d’apprendre. Lorsqu’on entreprend, il faut oublier l’égo et accepter de foncer parfois dans le mur, de faire des erreurs pour apprendre. Dans ce domaine, plus tu es capable d’embrasser le changement et plus tu as des chances d’évoluer. L’entreprenariat est une leçon de vie, sur toi-même, tes forces et faiblesses. Grâce à cette vie d’entrepreneure que j’ai choisie, je me connais de manière un peu plus claire aujourd’hui.
Selomcrys : Ah oui ? Cela nous intéresse. Dis-nous donc qui es-tu Gretta Lawson Gallus ?
Gretta Lawson-Gallus : Je suis une personne entière, j’apprécie l’honnêteté chez les gens donc j’essaye d’être honnête à mon tour. Je ne possède pas forcément la meilleure façon de faire mais l’idée c’est d’essayer et de s’améliorer. Je n’aime pas faire semblant, je veux qu’on m’apprécie comme je suis, je ne veux pas jouer un rôle. Je me nourris de l’énergie des personnes qui m’entourent. Ils me motivent, quand ils grandissent, j’ai envie d’en faire autant. Je suis hyper reconnaissante d’avoir à mes côtés mes deux familles : la famille biologique et la famille de cœur. Mon entourage est excellent et cela n’a pas de prix, c’est une force et une grâce.
Selomcrys : Aujourd’hui, professionnellement parlant, à quoi rêves-tu ? De nouvelles envies de création ?
Gretta Lawson-Gallus : J’ai un nouveau projet en cours dans la restauration et un nouveau projet passion dans un domaine encore inconnu pour moi, j’ai hâte que cela prenne forme. J’ai aussi envie de développer davantage les franchises de Crazy Cream, j’y crois énormément. Je voudrais aussi maintenir tout ce que je fais actuellement comme Antovi Cantine. Mon idée est la suivante : lorsque tu viens à Lomé, j’aimerais que tu puisses faire un saut dans au moins l’une de mes entreprises avant de repartir. Mon ambition est que nous soyons si performants que nous devenions incontournables. D’un autre côté, je ne suis pas attachée à mes entreprises au point de ne pas m’en séparer, je ne veux pas devenir esclave du travail. Si une bonne opportunité se présente de les confier à quelqu’un qui saura en prendre soin, pourquoi pas ?
Selomcrys : Si Dieu te prête vie, où te vois-tu dans 5 ans ?
Gretta Lawson-Gallus : Je prie pour commencer à profiter pleinement de mes activités dans 5 ans, Hors de question courir partout pour me réaliser à 50 ans (rires). Dans 5 ans, je pense avoir moins d’entreprises mais cibler celles qui sont les plus performantes. Je me vois très bien vivre et travailler hors du Togo, dans un pays où il fait bon vivre, un endroit où je me sens bien, un peu comme Lomé finalement (rires). Je souhaiterais pouvoir voyager et voir ma famille et mes amis aussi souvent que j ‘en ai envie. Le rêve ? Etre en mesure d’aider ma mère entièrement, elle a beaucoup fait pour mes frères et moi, il est temps de lui rendre le pareil. Je veux surtout être en position de choisir ma vie, dans la paix et l’harmonie être en phase avec moi-même et impacter ma communauté par l’éducation des jeunes filles.